14ème jour

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Quand j'ouvre les yeux, je me sens un peu fatiguée, j'ai l'impression d'avoir mal dormi. Je me tourne de ton côté et vois que tu dors encore. Tu sembles paisible. Ce deuxième dimanche a été, une fois de plus, une petite bulle de douceur au coeur de ce tumulte. C'était tranquille, ensoleillé, plein de discussions, de projets... Un dimanche presque comme les autres.

Je me dis que demain, cela fera 15 jours que nous sommes confinés. C'est étrange. Cela me parait si long et à la fois si peu. Pour éradiquer un ennemi invisible, combien de temps faut-il ? Il y a sûrement beaucoup de chercheurs qui se penchent la question. Mais les moyens sont déjà limités pour eux...

Je me demande quand est-ce que tout cela finira ? Et comment cela finira ?

Hier en fin d'après-midi, tu as eu des nouvelles de ta soeur, elle semblait aller vers du mieux, le médecin réanimateur qui a appelé ton beau-frère n'a pas voulu trop s'avancer, mais pour le moment il est plutôt optimiste. Avant de m'endormir, j'ai demandé aux étoiles de veiller sur elle, pour qu'elle continue à aller vers la guérison. Tu as été soulagé d'entendre aussi que ta nièce ne semblait pas avoir été contaminée.

C'est fou comme un si petit être humain peut être résistant. Alors que des adultes en pleine santé sont plus vulnérables face à ce virus. La science et ses mystères. Je pense qu'il ne faut pas chercher une raison ou une logique. Le principal est qu'elle aille bien et que sa maman retrouve la forme le plus vite possible.

Je sens ta main caresser ma cuisse, ce qui me sort de mes pensées, tu as le regard encore tout ensommeillé, mais tu m'ouvres tes bras, je viens m'y blottir. C'est comme si tes bras étaient un refuge.

-Tu as bien dormi ?

-Oui et toi ?

-Mieux, et ça fait du bien.

-Tu sais que tu as beaucoup bougé cette nuit ?

-Ah bon ?

C'est peut-être pour ça que j'ai cette sensation d'être un peu fatiguée ?

Tu vas ouvrir le volet, il fait un peu gris ce matin, mais bon au final, ça change quoi qu'il fasse beau ou non ? De toute façon, nous sommes obligés d'être dedans. Je ne sais pas ce que je vais faire aujourd'hui.

Depuis quelques jours je ressens le besoin de me créer une routine pour la journée. Chaque matin en me levant, je prévois ce que je vais faire, histoire de ne pas avoir de vide et de me donner un rythme. Car je me rends compte que ce confinement commence à me perturber un peu. Je sens que par moments, mon moral joue un peu les montagnes russes et je n'aime pas trop ça.

Tu m'embrasses dans le cou, puis tu te lèves pour aller te doucher. Je reste un peu et profite de la chaleur de la couette. Puis je m'étires, me lèves et replie la couette au bout du lit.

Je vais à la cuisine après avoir ouvert la fenêtre de la chambre. J'ai regardé le ciel, il est gris, lourd de gros nuages, on dirait qu'il va pleuvoir.

Je mets de l'eau à chauffer, sors le beurre du frigo ainsi que la confiture, puis la boîte contenant les sachets de thé. Tout est sur la table, il ne nous reste plus qu'à nous installer et prendre notre petit déjeuner.

Tu reviens de la salle de bain, tu as mis la chemise bleu clair que j'adore, elle te va bien et fait ressortir tes beaux yeux marrons-verts. Tu t'assois à table et commence à boire ton thé, j'aime bien le calme qui règne en début de journée, ce petit temps où tu es encore « mon » homme avant d'enfiler la casquette de l'ingénieur.

-Tu vas faire quoi aujourd'hui ?

-Je vais cuisiner un peu, comme ça ce sera prêt pour ce midi et ce soir.

-Tu sais, tu n'es pas obligée de nous faire la cuisine tous les jours, je peux le faire aussi...

Un doute m'envahit, est-ce que ça te dérange que je fasse comme si j'étais « chez moi », alors que ça n'est pas le cas ?

-Euh... Je...

-Ce n'est pas que ça me gène, c'est juste que je ne veux pas que tu aies l'impression d'assumer toutes les tâches alors que je mets les pieds sous la table midi et soir.

-Oh ça ne me dérange pas tu sais, au contraire. Cuisiner me permet de m'occuper un peu et d'avoir un petit objectif pour la journée. Et puis, je n'ai pas grand chose à faire d'autre. Toi tu travailles, moi mis à part lire, me reposer, regarder la télé et appeler mes proches, je n'ai pas grand chose d'autre à faire alors...

-D'accord. Je ne veux pas que tu aies l'impression que je profite de la situation pour faire l'homme macho qui suppose que le devoir d'une femme est de s'occuper de tout à la maison.

-Je sais bien que ça n'est pas le cas.

-Tant mieux alors.

Et tu as ce geste que j'adore, tu me caresses la joue du bout des doigts. C'est toujours doux et tendre, comme une plume qui glisserait sur ma peau.

Puis tu finis ton thé, débarrasse un peu et mets ton mug dans le lave-vaisselle, reviens pour m'embrasser avant de te diriger vers le bureau. Ça y est, tu es devenu l'ingénieur.

Je finis de ranger la table du petit déjeuner, puis vais me doucher, faire le lit et me poser sur le canapé pour lire un peu.

Un coup d'oeil par la fenêtre et je vois que le ciel est de plus en plus gris, les nuages sont plus gros que lorsque nous nous sommes levés. Je vois les gouttes de pluie commencer à tomber.

Je soupire, ce confinement va tous nous changer. Comment je ne sais pas. Mais il va forcément nous faire nous poser des questions. Je sens déjà que je m'en pose, peut-être trop. Mais c'est un peu inévitable. Je commence à sentir la peur de « l'après » se faire de plus en plus forte. C'est bête, mais je ne sais pas comment on va se sortir de tout ça. J'ai l'impression, que chaque jour de passé, nous mène vers une destination inconnue, comme si la fin qui doit s'approcher, finalement recule. Comme un supplice de l'époque gréco-romaine, un sablier dont s'écoulent de minuscules grains de sable, semble être retourné à l'infini, juste avant que le dernier ne passe.

C'est un peu oppressant parfois ce ressenti. J'ai parfois l'impression, que même les dirigeants, n'en savent pas plus que nous, qu'ils naviguent à vue. Tels des marins perdus en pleine mer, sans carte ni boussole. Comme si le monde avait modifié son axe, ses pôles. Comme si tout avait perdu son sens.

C'est perturbant, mais c'est ainsi. Nous n'avons pas le choix que de faire avec. Ce confinement, va nous changer c'est certain. Il prendra fin également, mais quand ? C'est une donnée que nous n'avons pas encore et il nous faut composer avec.

Et nous n'en sommes qu'au 14ème jour.

Confidences d'un confinement...Where stories live. Discover now