3ème jour

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Ce matin encore, il fait beau. Lorsque j'ouvre les yeux, tu es assis au bord du lit, la tête dans les mains. J'ai peur. Je m'approche de toi, je mets mes bras autour de ta taille et pose ma tête sur ton épaule. Je ne dis rien, j'attends que tu parles, car je sais que si je te poses une question, les mots auront du mal à te venir.

-Ma soeur est à l'hôpital. Son mari a appelé le samu dans la nuit, elle avait une très forte fièvre et sa toux ne se calmait pas. Il a eu très peur.

-Comment va-t-elle maintenant ?

-Aux dernières nouvelles, elle était en soins intensifs. C'était vers 4h du matin.

-Ok.

Je ne dis rien de plus. Car que dire dans ce cas là ? Tous les mots du genre « ne t'inquiète pas » ou « ça va aller » seront de toute façon vides de sens, car, en vrai, on ne peut pas faire autrement que s'inquiéter, on ne sait pas si ça va aller.

Je me contente de te serrer fort contre moi et de mettre dans ce geste, tous les mots que je ne peux pas te dire. Juste te faire sentir que je suis là. Pour toi, pour te soutenir.

Même si c'est une chose que tu n'aimes pas forcément. Non. Toi, tu aimes affronter les situations difficiles tout seul. Tu n'aimes pas avoir l'impression d'avoir besoin de soutien. Tu n'es pas invincible, ce n'est pas ce que tu penses, mais c'est comme si te faire aider, te faire soutenir, de ne pas affronter seul, c'était avoir l'impression d'être faible. Alors que non. C'est seulement être humain.

Je sens ta main qui serre une des miennes, qui est posée sur ton torse, paume contre ton coeur. Pas besoin de mot, je comprends le message. Je relâche doucement mon étreinte et tu te tournes vers moi, tu m'embrasses avec douceur et tendresse. Puis pars te doucher.

Ce matin-là, notre petit déjeuner est bien silencieux. Je ne dis rien, moi la bavarde, je te laisse ce silence dont tu as besoin.

Une fois fini, je mets la vaisselle dans l'évier, hier soir, nous n'avons pas pensé à ranger celle qui était propre et qui attend encore dans la machine. Je le ferais après m'être douchée. Tu m'embrasses avant de te diriger vers le bureau. Tu as l'air si triste, j'attrape ta main et tu te retournes

-Tu me dis quand tu as des nouvelles.

-Oui.

Ce mot est murmuré et dans ton regard je vois bien plus d'émotions que tu n'en laisses paraitre. Tu serres une nouvelle fois ma main, fort dans la tienne, puis tu mets la casquette de l'ingénieur qui part au travail.

Je prends mon temps dans la salle de bain, je me fais un masque visage, prends le temps de donner quelques coups de pince à épiler à mes sourcils, je m'occupe pour ne pas que mon cerveau se mette en mode « cogitation à fond les manettes », alors je prends le temps de prendre soin de moi.

Une fois fait, je vais m'installer au salon, je prends mon bouquin, me fais un thé et le sirote tout en regardant dehors. J'ai du mal à me concentrer sur ma lecture. Le ciel n'est pas aussi gris qu'hier, mais il y a des nuages encore aujourd'hui.

Je penses à ta soeur. Je ne la connais seulement par tes mots, je ne l'ai même pas vue en photo. Mais je sais que tu l'apprécies beaucoup, elle a fait de toi un oncle et parrain complètement gaga de sa nièce. Tu n'en as rien dit, mais je sais que tu te fais du souci pour elle aussi, elle n'a que 2 ans.

Je me sens à la fois triste et désemparée face à ta peur. Je sais que mes mots ne serviront à rien, je sais que tu vas te renfermer dans ta coquille, faire le dos rond et attendre que « l'orage passe » même si je suis là.

Je suis inquiète pour toi, pour ta soeur. Et pour tout ces gens qui devront faire face, parfois seuls, à ce fichu virus.

Je suis en colère, car j'ai l'impression que les choses ont été prises en charge trop tard, car j'ai la sensation que beaucoup ne prennent pas conscience de l'ampleur de la situation. Je suis en colère après ces personnes qui continuent de sortir 4 fois par jour leur chien ou qui vont faire leurs courses tous les matins.

Je suis inquiète de cette situation, à la fois totalement exceptionnelle et inédite. Car des pandémies, le monde a déjà connu ça. Oui. Mais pour moi, c'était à une époque révolue. Et voilà que moi, c'est une chose que je vis, que je découvre. Et je me dis que nous avons la chance d'avoir une médecine moderne et avec des connaissances plus importantes.

Je me demande ce qu'ont vécus les pauvres gens durant la peste. Ont-ils eu peur ? Ont-ils cru que des herbes pouvaient les protéger ou les guérir ? Comment ont-ils pu se protéger, sans avoir de bases d'hygiène ? Sans connaitre l'existence des virus et des bactéries ?

Je suis perdue dans un tourbillon d'émotions, je ne sais plus si j'ai peur pour toi, ou pour moi, ou pour mes proches ? Je ne sais pas si je suis inquiète d'attraper ce virus ou d'en développer les premiers symptômes ? Je ne sais pas si j'ai peur pour aujourd'hui ou pour demain.

Je me dis que je dois mettre mon cerveau sur pause, alors je prends un peu d'homéopathie, désactive les notifications des sites d'informations sur mon téléphone, termine mon thé et prends mon livre.

Je dois me préserver un minimum, d'abord pour moi, mon côté anxieuse risque de ne pas pouvoir gérer. Et pour toi, car tu es inquiet pour ta soeur et je dois pouvoir t'épauler.

Et puis, car nous n'en sommes qu'au 3ème jour...

Confidences d'un confinement...Where stories live. Discover now