12ème jour

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En ce deuxième samedi matin, j'ouvre les yeux et je te vois, tu es endormi, et je souffle en douceur. Tu as besoin de dormir. Une nouvelle fois, ta nuit a été agitée, tu es inquiet pour ta soeur, tu as peur pour elle et c'est tout à fait normal.

Mais en même temps, tu n'aimes pas que je te vois comme ça, tu as tellement l'impression d'être « faible », enfin c'est ce que tu m'as glissé quand on a discuté hier soir avant de se coucher. Mais, tu n'es pas faible, tu es un homme. Il serait temps que les hommes d'aujourd'hui arrêtent de s'accrocher à cette injonction qu'on leur inculque dès l'enfance, qui leur met un poids et une pression énorme sur les épaules : un homme ne pleure pas.

Mais merde ! Un homme est un être humain et il a le droit de ressentir des émotions, d'avoir peur, d'être triste, de pleurer, ça ne fait pas de lui un être faible ! Non. Juste un être vivant doté d'émotions. Je me suis un peu énervée lorsque l'on a eu cette discussion. Car tu fais tout pour ne pas montrer ce que tu ressens, quelles sont tes émotions. Mais justement. À force, ça te ronge et te fait du mal. Et moi, c'est cet homme là, cet homme sensible que tu es qui me plait. C'est ce qui fait ta « beauté intérieure » et qui a fait que je suis tombée amoureuse de toi. Bon ça, je ne te l'ai pas dit. Je pense que tu n'es pas prêt à l'entendre...

Ce matin, tu sembles paisible dans ton sommeil et ça me rassure. Hier soir, tu étais vraiment si inquiet, que tu n'as pas réussi à beaucoup manger, tu as passé la soirée à guetter le moindre message. Ton beau-frère t'a appelé après avoir eu un infirmier du service de réanimation, il t'a donné les dernières nouvelles, tu as été un peu rassurée. Pour un temps. J'ai vu ton visage se fermer quand tu as su que ta nièce avait un peu de fièvre depuis quelques heures.

Maintenant, tu te fais du souci pour elles deux. Je le sais. Même si tu n'en dis rien. Je le vois, cette marque entre tes sourcils l'indique aussi clairement que s'il s'agissait d'un panneau sur une autoroute. Cette marque, je pense qu'elle finira par rester, tant tu es inquiet.

Cette pandémie, va nous marquer tous. Quelle que soit la façon, que ce soit physiquement pour tous les malades qui s'en sortiront, mais toute la population qui aura été confinée chez elle. Je pense que lorsque nous pourrons tous ressortir, les psy ne manqueront pas de travail et seront même débordés ! Cette situation est anxiogène, les médias brassent le nombre de morts, de nouveaux cas, en France et ailleurs toute la journée. Pas une seule « bonne nouvelle » dans les bulletins d'informations quotidiens. Et pourtant, je suis sûre que cela ferait du bien à beaucoup d'entre nous d'entendre des choses positives, qu'il s'agisse de la naissance d'un bébé léopard dans un zoo ou d'une belle histoire.

Alors certes, les médias nous parlent des jolies initiatives qui fleurissent de plus en plus sur notre territoire : pour aider les autres, pour apporter du soutien aux soignants, aux personnes isolées,... Mais je trouve que ça ne suffit pas. Les informations sont trop sombres, la fin du confinement semble lointaine, sans date précise. Un peu comme lorsque l'on entre dans un tunnel, l'obscurité nous enveloppe mais on ne sait pas combien de temps elle va durer.

Je t'observe, tu dors toujours. Je me rends compte que moi aussi, j'ai peur pour ta soeur, pour ta nièce, pour tes proches. Comme pour les miens. C'est comme si cette pandémie, mettait au jour l'importance que tu représentes pour moi et comme j'ai envie que cette place que tu m'as faite dans ta vie dure le plus longtemps possible...

Tu ouvres les yeux et te tournes vers moi, comme à ton habitude, tu m'ouvres tes bras et je m'y blottis avec bonheur. Tes bras sont mon refuge et j'espère qu'il en est de même pour toi. Peut-être que cette période aura au moins permis cela : nous rapprocher davantage et de rendre notre relation plus solide.

Car, ma peur que ça la brise, s'est finalement vite envolée. J'ai l'impression que nous avons trouvé un rythme qui nous va et nous convient. J'ai l'impression que l'on construit les bases solides d'un futur que j'espère heureux à tes côtés.

Une fois dans tes bras, j'ai l'impression que je suis protégée du monde et de ses horreurs.

Tu me caresses le dos avec tendresse, aucun de nous ne parle, mais les mots ne sont pas nécessaires. Chacun, puise dans la douceur des gestes de l'autre la force nécessaire pour affronter ce que l'on vit actuellement.

Pour ta soeur, le chemin est encore un peu long, mais chaque soir, je demande aux étoiles de veiller sur elle pour qu'elle se rétablisse.

Tu m'embrasses et me propose qu'on aille déjeuner, j'acquiesce et te suis dans la cuisine. Nous profitons d'avoir du temps devant nous pour discuter, de tout et de rien. Ce virus est bien trop omniprésent dans nos vies, pour qu'il vienne troubler notre rituel du petit déjeuner du samedi matin.

Je fais tomber ma tartine par terre, côté confiture évidemment, je me lève pour aller chercher du papier pour essuyer ma bêtise et bien sûr, je ne sais pas comment je me débrouille, une fois que j'ai tout bien ramassé, je trébuche sur mon chausson et le papier, les morceaux de tartine et la confiture se retrouvent de nouveau par terre.

Et là, tu pars dans un éclat de rire, un fou rire, sûrement un peu nerveux, toute la tension qui se relâche. Mais tu ris de bon coeur. Et de te voir ainsi, me fait rire à mon tour. Tu ne t'arrêtes plus, tu m'attrapes par la taille et noues tes bras autour de moi.

-Laisse, je vais m'en occuper, je crois que la tartine se rebelle.

-Ok, je suis désolée.

-Ne le soit pas. Ça m'a fait du bien de rire.

Et il m'embrasse, avant de s'occuper de réparer les dégâts, ma maladresse habituelle aura eu le mérite de nous faire rire de bon matin. Et j'avoue que vu les circonstances, ça fait un bien fou.

Et je suis contente que malgré les nouvelles pas très roses, on commence la journée ainsi. En ce 12ème jour...

Confidences d'un confinement...Where stories live. Discover now