Capitulum Quadragesimum Primum

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Si, dans les premiers temps, la cour n'évoquait de lui que le nombre de ses années ou son extravagance, voire le caractère singulier de ses épousailles, Friedrich gagna significativement en prestige après sa nomination au point d'être de plus en plus souvent objet de conversation au sein des cercles mondains. Ainsi, après avoir été pendant des années tenu à l'écart pour d'obscures raisons, non pas qu'il s'en plaignît une seule seconde, quelle ne fut pas sa stupéfaction lorsqu'il découvrit, au milieu du courrier habituel, une enveloppe garnie d'un sceau des plus sophistiqués.

En la retournant, il put y lire son nom, tracé avec soin d'une écriture fine et élégante. La courbe du F, merveilleusement exécutée, retint particulièrement son attention. La missive contenait une invitation du Duc du Barry à se joindre à une partie de vénerie, ou chasse à courre. Elster, quant à elle, jouissant à présent — et bien malgré elle — de la notoriété et des privilèges de son époux, fut invitée à une partie de volerie, considérée comme moins éprouvante pour une femme.

Lorsqu'ils eurent achevé la lecture de la lettre, tous deux, sourcils froncés et le front barré par une ride soucieuse,échangèrent un regard qui se passait de mots, tant le silence était éloquent, chargé de tension retenue. Celle-ci, loin d'être dirigée l'un contre l'autre, exprimait les griefs qu'ils cultivaient à l'égard de l'auteur de la missive. Ceux-ci étaient au nombre de deux : tout d'abord, les époux ne comprenaient pas au nom de quoi ils devraient être séparés, d'autant plus que de deux, celle qui possédait la meilleure condition physique était sans conteste Elster ; d'autre part, s'ils toléraient chez leurs semblables la consommation de viande, ils ne supportaient pas comment quiconque pouvait considérer la chasse comme un loisir.

Cependant, refuser cette invitation eût entraîné des conséquences désastreuses pour le peu de vie sociale qu'ils tentaient à grand-peine d'entretenir, et de plus, davantage pour soulager leur conscience, ou plutôt afin de l'ensevelir sous un linceul qui, ils le savaient, ne cèlerait pas éternellement la noirceur de leurs actes à venir, l'un comme l'autre se persuadèrent que, de toutes les manières, leur seule participation se résumait à accompagner les chasseurs.

Ce jour-ci, Friedrich regretta de ne pouvoir échanger sa place avec son épouse, d'autant plus qu'elle était bien meilleure cavalière que lui, qu'elle possédait de formidables aptitudes pour suivre une piste, bien que posséder ce savoir ne revêtît aucune utilité dans le présent contexte, du moins dans la perspective de continuer à servir ses idéaux.

Le matin fatidique, la mort dans l'âme, ils se préparèrent à partir : Friedrich s'était couvert d'un pantalon épais et de bottes de cuir marron, ainsi que d'une veste légère qui lui permettraient de se mouvoir aisément sur un cheval. Elster, à la volerie, n'en aurait nullement besoin, mais avait tenu à l'imiter, se sentant de toute façon plus à son aise avec un pantalon qu'avec les habits traditionnels de la noblesse.

Quelques heures plus tard, au petit matin, la petite troupe s'engagea silencieusement dans les sous-bois : à peine pouvait-on entendre les feuilles craquer sous les sabots des chevaux. Ceux-ci, des pures races espagnols, ou andalous, étaient des animaux compacts, puissants, bien-bâtis, mais très élégants. Malgré une vitesse modérée, ils étaient réputés pour leur très grande agilité, et se révélaient donc parfaitement adaptés pour la chasse. De plus, leur robe grise se fondait sans peine parmi les bouleaux au tronc argenté. Le jeune noble pouvait sentir la puissante musculature de l'animal se mouvoir sous lui.

Le fond de l'air était frais, une petite brise soufflait, sifflant dans les feuilles au-dessus de leur tête, et la lumière de l'aurore aux doigts roses colorait l'horizon d'un dégradé arc-en-ciel projeté sur les nuages. La vision eût pu être paradisiaque s'ils n'étaient pas venus dans cette forêt pour y semer la mort et la dévastation. Le jeune homme, sachant chevaucher, mais assez malhabile, faisait de son mieux pour ne pas choir et tentait de garder son équilibre en queue du groupe mené par le Marquis. En effet, le Duc, trop âgé pour se livrer à de tels exercices, trop éprouvants, avait depuis quelques années cédé sa place à son fils aîné.

MascaradeDär berättelser lever. Upptäck nu