Capitulum Septimum Decimum

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Friedrich se réveilla dans un environnement inconnu, l'esprit encore tout embrumé par sa nuit de sommeil. Une silhouette était étendue contre lui ; il reconnut l'odeur de la femme qu'il aimait : Elster. Celle-ci, blottie contre lui, et seulement vêtue du drap témoin de leurs amours, venait caresser son cou de son souffle régulier ; seule sa respiration troublait le silence de la nuit. Les souvenirs de la veille lui revinrent d'un coup : il rougit alors, soulagé que personne ne pût le voir. Le jeune homme caressa délicatement sa longue chevelure, enroulant une mèche autour de son index, avant de venir déposer un doux baiser sur sa tempe. Un délicat soupir lui répondit, dessinant un sourire sur son visage ; couvrant à nouveau les épaules de son amante, il la serra davantage contre lui, avant de fermer les yeux, goûtant au bonheur simple d'être près d'elle.

Quelques instants plus tard, des mouvements près de lui l'informèrent que sa bien-aimée émergeait lentement du sommeil. Avec un tendre sourire, il effleura sa joue du bout de ses doigts, geste auquel elle répondit en déposant sa propre main sur la sienne. Accompagnant sa caresse de son prénom doucement murmuré d'une voix encore ensommeillée, elle vint chercher sa nuque. Après avoir mêlé leurs souffles, elle se tourna, avant de se lover à nouveau contre lui, la tête sur son bras. Celui-ci alors posa une chaste main sur son ventre : il pouvait le sentir se gonfler et se détendre à intervalle régulier. Attendri, il la serra encore contre lui. Puis, bercé par le rythme de sa respiration, il se laissa glisser vers une douce inconscience, avant de la rejoindre en rêves dans un monde qui n'appartenait qu'à eux.

Les jours et les nuits se succédèrent, toutes aussi belles les unes que les autres, où les deux jeunes gens apprirent à se connaître mieux, vivant une vie faite de plaisirs simples, loin du faste de la cour. Un jour, alors qu'il balayait devant la maison, une pensée lui traversa l'esprit : aussi fort qu'il pût désirer passer l'éternité auprès d'elle, voire davantage si le ciel le lui permettait, il était conscient de la nécessité de se rendre au Saint Empire pour y remplir la tâche qui lui avait été assignée. Les fragments d'infini qu'il passait avec la jeune demoiselle ne pourraient pas durer indéfiniment, il le savait, et cette idée l'attrista quelque peu. Tentant de la repousser dans un coin de son esprit, il reporta son attention sur l'instant présent, déterminé à laisser en son âme résonner chaque seconde arrachée à son destin.

Pourtant, malgré tous les efforts faits pour ne pas y songer, le matin fatidique arriva, où il ne lui fut plus possible de repousser son départ. Friedrich fit de son mieux afin de profiter de ses derniers instants avec Elster, et pour ne pas laisser voir sa tristesse. En prenant garde de ne pas réveiller la jeune femme, il se leva, la borda délicatement, et sortit avant de refermer délicatement la porte de la chambre. Puis, il se rendit à la rivière remplir un seau, et revint les bras chargés de fleurs sauvages. Il s'attela ensuite à la préparation d'un copieux petit-déjeuner, en espérant que les odeurs de cuisine tireraient sa compagne du sommeil. Celle-ci se leva, quelques instants plus tard, en se frottant les yeux. Elle vint le serrer dans ses bras, faisant mine de se rendormir sur son épaule, ce qui, comme elle l'espérait, le dérida un peu. Puis, avec un sourire radieux, elle replaça une mèche blonde derrière son oreille, déposa un petit baiser sur son nez, avant de s'extasier sur la table dressée et garnie de toutes sortes de bonnes choses à manger.

Au milieu, un vase en terre cuite accueillait les fleurs cueillies par le jeune homme, entourées par des fruits, du fromage, du pain grillé, du miel, des œufs, et un pot fumant qui, à en croire les volutes qui s'en échappaient, était empli de tisane. Tous deux mangèrent avec appétit, comme pour se persuader qu'il s'agissait d'un jour comme les autres. Le jeune homme n'osait porter les yeux sur elle que lorsqu'il était sûr de ne pas croiser son regard, craignant trop ce qu'il pourrait y lire. Lorsqu'il brisa enfin le silence, les mots ne purent franchir ses lèvres : seule une espèce de gémissement étranglé sortit de sa bouche. Gêné, il attrapa la tasse qui se trouvait devant lui, but une gorgée de tisane pour désobstruer sa gorge et se donner du courage. Puis, après avoir lâché un soupir sonore, il se lança : « Elster, je veux que tu saches que les jours que j'ai passés auprès de toi sont les plus beaux que j'aie connus depuis aussi loin que ma mémoire me le permet. Je te prie de croire que... »

Il fut interrompu dans son élan par la main que la jeune femme avait déposée sur la sienne. À ce doux contact, celui-ci releva la tête vers elle, et le regard qu'elle posa sur lui apaisa une partie de ses angoisses.

« Ne t'inquiète pas, lui murmura-t-elle, j'entends ce que tu peux ressentir, et tu n'as pas besoin de tout ce cérémonial pour me le faire comprendre. Tu es tiraillé entre ton sens du devoir vis-à-vis d'une charge que tu n'as pas voulue et que tu estimes trop lourde pour tes épaules, et ton désir de rester ici avec moi dans cette cabane au milieu des bois, et surtout loin de la cour ». Elle prit quelques instants pour observer sa réaction, puis en le voyant opiner du chef, elle plongea son regard dans le sien pour être sûre d'avoir toute son attention, avant de poursuivre : « Et par surcroît, tu as peur que je m'envole à nouveau si tu me laisses, est-ce que je me trompe ? ». Cette déclaration lui fit l'effet d'un coup de massue. Elle avait réussi, avec une facilité déconcertante, à mettre des mots sur la tumultueuse confusion qui faisait rage dans son esprit. Sans prévenir, elle se leva, contourna la table, et avec une infinie douceur, vint déposer un baiser sur ses lèvres. Puis elle le prit entre ses bras, laissant flotter un moment où les mots devenaient accessoires. Il s'abandonna à cette étreinte, laissant l'espace d'un instant ses noires pensées accueillir aux rayons chauds et apaisants qu'elle instillait en lui. Alors, en pensée, il tenta de lui communiquer « Je ne sais pas encore ce que je déciderai, mais je suis sûr d'une chose : même la distance ne pourra empêcher nos cœurs de battre au même tempo, nos âmes de résonner, nous penserons l'un à l'autre le jour et nous nous retrouverons en rêve la nuit ». En sentant la jeune femme le serrer davantage contre lui, il se plut à imaginer que celle-ci l'avait entendu. 

MascaradeWhere stories live. Discover now