Chapitre 61

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Lennar avait conduit Mishi et Danayelle à une petite barque et avait ramé jusqu'à atteindre un trois-mâts, amarré à une centaine de mètres de l'île Nocksor. Sur le pont, il n'y avait personne. L'équipage dormait dans la cale.

— Je peux vous abandonner ici, deux minutes ? Après tout, je sais qu'avec ce que vous venez de vivre, vous devez être bien trop blasé pour vous sauver encore une fois.

Danayelle hocha la tête. Mishi, pour sa part, n'eut la moindre réaction, ses yeux fixés droit devant elle. Lennar tapota gentiment son épaule, puis ouvrit une porte dissimulée dans la descente d'escalier qui menait au deuxième pont. Enfin, par le silence de son départ, les filles expérimentèrent, pour la première fois de cette soirée, un peu de calme pour respirer. Elles s'échangèrent un regard, trahissant toutes la peine et la peur qu'elles avaient en elles.

— Je n'arrive toujours pas à y croire, fit Mishi dans un souffle.

Danayelle ne répondit rien. Elle ne savait plus quoi dire sur ce sujet qui, pourtant, lui tournait en boucle dans la tête à un rythme obsédant.

— Je pense que... je ne vais pas rester.

— Nous sommes menottés, fit Danayelle sur le ton de l'évidence.

Cette simple vérité suffit à ramener les larmes dans les yeux de Mishi. Ce n'était pas tant ce fait que toute cette situation qui la rendait si sensible. Elle en avait marre de tout ça.

— Dana, reprit-elle, la voix tremblante. Détache-moi avec ta télékinésie. Et je retourne chez moi.

— Tu... retournes chez toi ?

— Arrête de faire l'idiote ! Je suis une sirène et nous sommes sur un bateau. La seule chose qui me retient de sauter, c'est ça ! dit-elle en levant ses mains entravées. Je veux partir... avant qu'il ne ramène Leerian et que je sois obligé de le voir, encore une fois... ressembler à ça...

Danayelle hocha la tête. Elle comprenait parfaitement, même si ça la rendait triste. Allait-elle vraiment partir ? Mais Lennar allait revenir d'une seconde à l'autre, et peu importe la décision que Mishi prendrait, Danayelle ne voulait pas être celle qui l'en aurait empêché. Alors elle mit ses mains sur ses menottes et, d'une légère pression télékinétique, ses cercles de fer s'ouvrirent et tombèrent au sol dans un cliquetis métallique.

— Tu vas retourner chez ton père ?

Mishi lui fit un petit sourire évident. Danayelle s'avança ensuite pour poser son menton sur son épaule - c'était le mieux qu'elle pouvait faire en matière d'accolade, mais Mishi se chargea du reste en passant ses bras autour de son amie.

— Tu vas me manquer, Mishi.

— Toi aussi, tu vas me manquer. J'espère que nous nous reverrons...

Mishi se détourna et essuya une larme qui glissait sur sa joue. Elle prit une grande inspiration, puis s'approcha de la ridelle. Au moins trois mètres la séparaient des vagues qui frappaient la coque, mais c'était loin de lui faire peur.

Danayelle tourna la tête vers la porte sous l'escalier. Elle entendait des pas ; Lennar revenait.

— Mishi, il arrive. Pars maintenant !

Mishi lui fit un sourire triste, puis sauta à l'eau, disparaissant après un dernier « plouf ». La porte s'ouvrit une seconde plus tard sur Lennar, suivit de toute une foule de moussaillons qui s'éparpillèrent sur le pont pour se remettre à leur poste. Il s'avança vers Danayelle, puis figea en remarquant qu'il n'y avait plus qu'elle.

— Où est la sirène ?

Danayelle haussa les épaules pour toute réponse, puis repoussa du bout de son pied les menottes abandonnées au sol. Lennar grommela, lâcha un soupir en levant les yeux au ciel étoilé, et empoigna Danayelle par le coude pour la guider, sans ménagement, vers la cale. Il lui fit descendre un escalier craquant sous chacun de ses pas. Ils traversèrent une longue pièce parcourue de lit à baldaquin, jusqu'au fond où il y avait une grosse porte de fer. Il cogna à trois reprises avec son poing, puis celle-ci s'ouvrit d'elle-même au bout de quelque seconde. De l'autre côté, tout au fond de cette nouvelle pièce, il y avait un elfe, assis en tailleurs à même le sol de bois humide. Les cheveux blancs et les iris jaunes lumineux, il n'avait pas l'air de très bonne humeur. Danayelle, intimidée par son regard glacial, baissa la tête alors que Lennar, d'une dernière poussée dans son dos, l'incita à entrer.

la légende de Nyirdall, Tome 1Opowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz