chapitre 4

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Nous sommes à la veille de la réinsertion et tout l'orphelinat est en état d'alerte. Les semaines passées ont été très instructives et nous avons étudié sans relâche pour que le programme nous soit le moins pénible possible. Nous savons à quoi nous attendre et plus les jours défilent, plus les filles semblent excitées à l'idée de vivre en toute indépendance. À l'inverse, 899 paraît réservée, presque opposée à la réinsertion. J'essaie de lui apporter mon soutien du mieux que je peux, mais je sens à travers ses sourires forcés que quelque chose de plus grave l'inquiète. Pour le moment, nous sommes encore sous la coupe de nos mentores, alors je garde en tête leurs règles et leurs principes, mais je sais qu'une fois que notre nouvelle vie aura démarré, je pourrai approfondir mon amitié avec 899 et ainsi mieux comprendre ses réserves. La régente ne m'a pas reparlé de la mission qui m'a été confiée, mais je remarque qu'elle m'observe plus qu'auparavant. Je sais qu'elle ne m'a pas oubliée et que je devrai lui rendre des comptes bien assez tôt. Cette idée ne m'a pas quittée durant ce mois. Chaque nuit, je m'endors avec cette perspective en tête et chaque jour je me réveille avec les mêmes appréhensions. Comment vais-je y arriver ?
Au fil des jours, j'ai appris à calmer mes craintes. Même si notre enseignement veut que nous gérions la moindre de nos émotions, nous n'avons eu que trop peu de bouleversements dans notre vie pour mettre la théorie en pratique. Mais j'y suis parvenue, jour après jour. L'idée me paraît toujours aussi insurmontable, mais je vais devoir m'y faire. Je n'ai pas le choix.
Ce matin, nous avons emballé nos quelques affaires dans des cartons ; un camion passera cet après-midi pour les déposer dans nos appartements respectifs. Je me sens plus sereine qu'il y a un mois, oui. Mais je sais aussi que cette illusion sera vite balayée une fois arrivée en ville. Je perdrai tous mes moyens.
Sans nos cartons, le dortoir paraît vide et anonyme. Quand je pense que nous y avons vécu dix-sept années ! Que deviendra l'orphelinat quand nous aurons toutes déserté les lieux ? Je ne peux imaginer cet endroit autrefois plein de vie, livré à l'abandon. Je tente d'écarter cette vision et de chasser ces idées maussades. Je m'y suis préparée, et même si ça fait déjà quelques semaines que je me force à m'en détacher, cette image me crée un douloureux pincement au cœur.

Dans quelques minutes, il sera minuit. Nos mentores ont organisé une cérémonie pour notre anniversaire et pour la première fois nous avons l'autorisation de veiller tardivement, mais surtout de fêter cet événement. Le décompte annonce 24 minutes. Nous sommes déjà toutes en salle de réveil, vêtues de nos pyjamas gris. Nous n'avons pas encore dîné et je meurs de faim. La régente murmure à sa table avec les suppléantes, puis après quelques secondes de discussion elles se lèvent en un mouvement synchronisé. Je les observe du coin de l'œil allumer une à une les bougies de la salle. La cérémonie va bientôt commencer. Certaines filles ayant enfreint le règlement cette semaine sont de corvée, même en ce jour précieux. Elles se dirigent tout juste en cuisine, ce qui annonce le début imminent de notre repas. La salle est silencieuse, mais semble plus vivante qu'à l'accoutumée. Les pensionnaires se permettent plus de libertés : elles savent qu'à un jour de la réinsertion elles ne risquent plus de sanctions. Les filles chargées du service ressortent de la cuisine avec des plats sous cloche qu'elles déposent sur les tables devant chacune de nous. L'odeur qui s'en dégage est exquise et attise mon appétit. Les bougies éclairent la grande salle avec douceur en créant une atmosphère apaisante tandis que le décompte annonçant les dernières secondes s'éteint avant la fin, ce qui nous surprend toutes. La régente réclame le silence en un geste de la main.
— Mes filles, ce soir il n'y aura pas d'alarme, ce décompte était le dernier de votre vie. Ce discours est également le dernier que je ferai. Vous m'en voyez désolée, mais après cette cérémonie nous ne nous verrons plus. Demain à votre réveil, des véhicules vous attendront devant l'orphelinat pour vous déposer là où commencera pour vous une nouvelle vie. Je suis ravie d'avoir partagé ces longues années à vos côtés, vous avez été des filles exemplaires. Ce soir, nous fêtons vos dix-sept ans, et à la fin de ce repas je vous convoquerai une par une pour vous remettre un présent. Gardez en tête d'où vous venez et ce que nous vous avons inculqué. Restez vous-mêmes et surtout prenez soin de vous et de vos camarades. Joyeux anniversaires, mes filles.
À l'écoute de ce discours d'adieu, je ne sais plus quoi penser. Moi qui avais toujours une image idéalisée de la régente, aujourd'hui j'aborde ses paroles avec amertume et méfiance. Je ne sais plus en qui je dois avoir confiance. Si elle se préoccupait tant de notre sort, elle ne m'aurait jamais confié une mission qui pourrait me mettre en danger. Je suis la seule à rester impassible alors que presque toutes les filles ne peuvent s'empêcher de verser quelques larmes. La régente se rassoit, soulève la cloche qui recouvre son plat, et toutes les pensionnaires l'imitent, moi également.
Sous les cloches se révèlent des plats des plus remarquables. Jamais nous n'avons été si bien servies. Des filets de canard fumants sont délicatement disposés sur une sauce aux marrons à l'odeur délicieuse. À côté, une farandole de petits légumes colore joliment l'assiette. En milieu de table se trouve un plat garni de différents fromages et de tranches de pains variés qu'accompagnent beurre, miel, confiture et autres mets appétissants. Aux extrémités de chaque table, d'imposants gâteaux aux fraises émoustillent nos papilles déjà bien excitées.
Seul le bruit des couverts résonne dans la salle. Un sourire complice aux lèvres, nous nous observons en train de savourer notre repas. Plus de décompte. Cette fois-ci, nous avons le temps d'apprécier chaque seconde de notre dîner sans craindre de ne pas finir avant la sonnerie. Je me surprends à attendre le dessert tandis que la plupart entament tout juste le fromage. J'hésite à m'en servir lorsque je vois une des filles de mon dortoir se saisir du couteau pour couper un morceau. Je me lève alors et lui tends mon assiette pour qu'elle me serve à mon tour. Le dessert est délicieux : jamais un gâteau ne m'avait paru aussi succulent. Si seulement tous les jours avaient pu être aussi beaux et guillerets qu'aujourd'hui. Ce soir, nous sommes toutes heureuses et réunies dans le même esprit : le partage. D'habitude si réservées et pudiques, aujourd'hui nous extériorisons sans retenue notre joie.
— Bien, mes filles, continuez de manger, je vais vous appeler une à une pour que vous me rejoigniez à ma table. Commençons par le numéro 501.
501 se lève, la bouche pleine, et traverse le réfectoire en direction de la table de nos mentores. Je remarque qu'elles n'échangent que quelques mots pendant que la régente fouille dans un des dix cartons posés à ses pieds. Elle en ressort un livre et le lui tend, un sourire maternel figé sur ses lèvres, et lui dépose un baiser sur le front. 501 porte le livre à sa poitrine, baisse la tête en signe de remerciement et retourne à sa place.

Cela fait déjà deux heures que le repas est terminé et nous observons chacune de nos camarades recevoir son présent. La plupart d'entre nous sont déjà exténuées, le réveil est prévu dans cinq heures et nous n'en sommes qu'au numéro 870. Les minutes s'écoulent lorsque j'entends enfin mon numéro. Je me lève de table, hésitante, et me demande ce qu'elle va bien pouvoir me dire ou me donner. Je slalome entre les chaises et monte les quelques marches de l'estrade pour enfin atteindre la table où est assise confortablement la régente.
— Numéro 900. Quel plaisir de vous reparler, me dit-elle à voix basse. Je vous donne ceci, prenez-en soin. C'est un paquet, vous l'ouvrirez demain une fois chez vous.
Elle me tend une petite boîte en carton ayant l'apparence d'un livre de poche et m'adresse un léger sourire.
— Je vous remercie.
Je lui réponds le plus innocemment possible pour ne pas éveiller la curiosité de mes camarades.
Au moment où je m'apprête à retourner à ma place, elle m'empoigne le bras avec force et fait mine de m'embrasser sur la joue.
— Ne me décevez pas, me glisse-t-elle à l'oreille avant de poser ses lèvres humides sur ma peau.
Je savais qu'elle ne m'avait pas oubliée et il est clair que ce qu'elle m'a « offert » a un lien direct avec ce que je dois accomplir pour elle, mais la priorité est de ranger ce paquet pour éviter d'attirer l'attention de mes camarades. Arrivée à ma table, je le dépose entre mes jambes et fais semblant d'être captivée par la suite de la cérémonie, évitant ainsi le regard des quelques indiscrètes.

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COUCOUUUUU!!

Alors alors... Qu'est ce que la Régente a donné à 900 à votre avis???!!!

On est à la veille de la réinsertion!! pas d'apréhension pour notre Héroïne pas très sûre d'elle??!

Donnez moi vos avis avec plaisir!! :)

GROS bisouuusss

900 : La réinsertion (Tome 1)Where stories live. Discover now