Chapitre 13

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Ce mardi, je me réveille difficilement. Totalement perdue.
Je voudrais effacer de ma mémoire la discussion échangée avec la régente, mais c'est impossible. Ses mots m'ont hantée toute la nuit. Ses revendications, ses nouveaux ordres. Sa voix. Rien que le souvenir de sa voix suave et autoritaire me provoque des frissons. Je suis devenue sa taupe. J'ai songé à jeter ce téléphone par la fenêtre, à le brûler, tout ce qui était possible pour qu'il ne soit plus en ma possession. Tout ce qui pouvait m'éloigner de l'emprise de Martha. Mais, je me suis rappelé ses menaces dans la lettre qu'accompagnait la petite boîte. « On vous surveille... » Je suis prise au piège. Soit je lui obéis, soit j'en paie le prix. Alors je choisis la première option.
C'est aujourd'hui que je vais réellement faire la connaissance de la docteure Anand. Avant d'être assignée à cette soudaine mission — m'attirer ses faveurs — j'avais hâte de cette rencontre. C'est la première fois que j'allais mettre en pratique mes cours avec une professionnelle. Je sais maintenant que je serai amenée à trahir sa confiance, d'une manière ou d'une autre.
Je me lève à contrecœur, il est 7 heures. Dans une heure, je dois être devant l'hôpital. Je me dirige machinalement vers la douche, repassant dans ma tête ma soirée de la veille avant que je ne chasse 899 de mon appartement. Nous avons discuté longuement de sa soirée au Club 47. Elle semblait heureuse, excitée de sa rencontre avec Camélia, Simon et David. Lorsque les amis de 410 ont quitté le club quelque temps après nous, elle et 802 ont passé la soirée en leur compagnie. Selon mon amie, Camélia est une fille extraordinaire. Moi, j'en doute. Je n'ai pu m'empêcher de grimacer en l'entendant faire ses louanges. Certes, cette fille a quelque chose de fascinant. Sûre d'elle, originale, nonchalante, elle dégage une personnalité bien à elle. À en croire 899, elle a un charisme fou. Mais derrière cette personnalité explosive, je ne vois rien d'autre qu'une fille à craindre, à éviter. Rien d'autre que des ennuis. Tout au long de son récit, j'avais pris sur moi pour ne pas l'interrompre. Je brûlais de lui dire de ne plus les revoir, de couper les liens qu'ils venaient à peine de créer. Je voulais abandonner cette stupide mission et supplier mon amie d'ignorer la deuxième génération. Mais au-delà du devoir qui m'avait été confié, je ressentais sa joie, le bonheur qu'elle éprouvait à devenir celle qu'elle avait toujours souhaité être. Malgré la conformité dans laquelle nous avions grandi, je crois que j'avais toujours senti chez 899 un besoin de s'ouvrir aux autres, un besoin de changement, de se démarquer. Alors je me suis tue. J'ai bu ses paroles jusqu'à la dernière goutte, ravalant en même temps mon scepticisme et mon appréhension des jours à venir en compagnie de la deuxième génération.
Tout à l'heure, après notre enseignement, 899 et Camélia sont convenues d'un rendez-vous. Les jumeaux et elle veulent nous faire découvrir le lac. Bizarrement, lorsqu'elle m'avait soumis l'idée, elle n'avait pas l'air anxieuse à la perspective de partager un après-midi avec des inconnus imprévisibles, dans un endroit où personne ne penserait à venir nous chercher. Une fois de plus, je me suis tue. J'irai moi aussi. De toute façon, j'ai accepté. C'était le seul moyen pour moi de la faire quitter mon appartement en vitesse et c'est mon seul espoir d'en savoir davantage sur eux.
Alors ce matin, oui, je suis perdue. Perdue, car je me sens vulnérable. La situation m'échappe. Cette mission n'est pas faite pour moi. Comment la régente a-t-elle pu me choisir ? Moi ? Quand des centaines d'autres filles la serviraient certainement mieux. Rien que 899 et 802 ont bien plus de cran. Elles possèdent le goût de l'aventure, la soif de nouveauté. Le changement ne les effraie pas, bien au contraire. Elles seraient prêtes à sauter à pieds joints au milieu du danger, à faire confiance à n'importe qui. Non pas qu'elles soient crédules. Elles possèdent simplement une curiosité que je n'ai pas.
Tout à coup, je pense à Ugo... Ugo et ses énigmes. Ses paroles menaçantes qui tournent en boucle dans mes pensées déjà bien confuses.
Ne reviens plus, c'est tout. Restez discrets comme les autres de votre génération, ne vous mélangez pas à nous, ça finira mal, encore plus vite que ce que je crains.
Rentre, je viendrai te voir chez toi d'ici quelques jours si tu acceptes, et je promets de répondre à toutes tes questions.
Quand viendra-t-il ? Aujourd'hui ? Demain ? Jamais ?
Une part de moi espère qu'il ne viendra pas, la crainte de ce qu'il a à m'annoncer me nouant l'estomac sans répit. Mais l'autre part, malgré la place infime qu'elle occupe face à la centaine d'autres sentiments qui m'assaillent, déborde de curiosité. Faible, presque imperceptible, mais pourtant bien là, elle hurle de toutes ses forces son désir d'en savoir plus.
Je sors de la salle de bains et cherche l'horloge des yeux. 7 h 35. La luminosité extérieure traverse les rideaux avec une forte intensité, révélant le temps radieux de cette nouvelle journée. Je me dirige vers la cuisine, attrape un verre que je remplis d'eau et saisis une pomme. Je n'ai pas faim et ma formation se termine à 14 heures, j'avalerai quelque chose de plus consistant plus tard.
Il est presque 8 heures lorsque je pénètre dans l'immense bâtiment de bronze. La docteure Anand nous attend de pied ferme, vêtue d'une blouse blanche parfaitement propre. Sa chevelure rousse est impeccablement attachée en un chignon travaillé. Elle tient un petit carnet et de sa main libre joue nerveusement avec son stylo. C'est une belle femme : souriante, elle inspire la confiance. Ses traits sont fins, agréables, et son regard est empli de douceur. Je l'apprécie déjà. Devant elle, des centaines d'apprentis patientent et je me joins timidement à eux, suivie par quelques autres.
— Bien, je crois que nous sommes au complet. Je vais donc pouvoir faire l'appel ! Merci de vous diriger derrière moi dès que je prononcerai votre nom. 458 ? ...

900 : La réinsertion (Tome 1)Where stories live. Discover now