Chapitre 16

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Cette semaine fut plutôt calme. 899 passe une grande partie de son temps libre à mon côté et à ma grande surprise elle s'est plutôt vite remise de son agression. Je soupçonne Camélia et son fort caractère de l'avoir aidée à surmonter cet incident. Chez les sans-gêne, la violence semble être monnaie courante. Je ne sais pas si c'est tellement plus rassurant. L'important, c'est que 899 a retrouvé le sourire le surlendemain, riant presque de sa mésaventure. Un moyen, peut-être, de dédramatiser.
Aujourd'hui, je dois recevoir l'appel de la régente et je crois que c'est le meilleur moment pour moi de m'expliquer auprès de 899. De tout lui dévoiler. Je n'en peux plus de lui mentir. Ma culpabilité me ronge toujours plus depuis les derniers sept jours. Alors pour la énième fois de la semaine, j'invite 899 à partager un repas avec moi. Nos lasagnes maison sont délicieuses. C'est la première fois que je cuisine un vrai plat et j'en suis vraiment fière. Nous avalons les dernières bouchées, légèrement déçues de ne pas en avoir préparé davantage. Il faut dire que depuis la réinsertion notre appétit a quelque peu augmenté.
Je n'ai pas encore trouvé le moment opportun pour parler à mon amie, alors je me dirige vers la salle de bains, dans le but de m'accorder un répit avant d'annoncer ce qui me vaudra peut-être sa colère. Devant le miroir, je m'observe. Je me dégoûte d'être une dissimulatrice. D'être la cause de son agression. Je vais lui annoncer. Il faut que je lui raconte tout. Mais pas maintenant. Je veux encore quelques heures d'innocence avant de recevoir sa déception en pleine figure. Je sors alors de la salle de bains, un sourire forcé aux lèvres.
— Tu as encore de la place pour un dessert au chocolat ? je m'exclame, faussement enjouée.
Je la découvre scandalisée, les yeux exorbités.
D'une main tremblante elle tient le téléphone que la régente m'avait glissé la veille de notre départ, de l'autre la lettre qu'elle m'avait adressée.
— Qu'est-ce que c'est que tout ça, 900 ? Je... Je ne comprends rien, là ? Explique-moi ? Te rapprocher de qui ? Pourquoi ?
Au même instant, des pensées multiples se mélangent dans mon esprit. Que vais-je lui dire ? Par où commencer ? Elle ne me pardonnera jamais de lui avoir menti ! Tout a changé maintenant, je ne suis plus contrainte de lui cacher quoi que ce soit. J'inspire à pleins poumons. Mais une énième pensée vient détruire ce flot ininterrompu de questions. C'est ce soir que la régente doit m'appeler. C'est ce soir, et j'ai peur, j'ai peur de sa réaction. La bouche grande ouverte, muette, elle fait de grands moulinets avec ses mains, signe de son incompréhension et surtout de son impatience. Il est temps qu'elle sache tout. Il n'y a pas d'autre solution, elle sait déjà l'essentiel, elle a juste besoin de le comprendre de vive voix. De savoir que tout est ma faute.
Je m'installe à côté d'elle et lui explique tout depuis le commencement.

— Voilà, tu sais tout. Je t'en prie, 899, ne m'en veux pas. Je... Je n'imaginais pas qu'elle puisse s'en prendre à toi je... et cette mission. Merde, cette mission, je n'ai rien de tangible à révéler. Il n'y a rien à savoir sur eux qui changera quoi que ce soit si ce n'est qu'ils sont sans gêne, accros à l'alcool, aux drogues, instables, immatures et surtout violents ! Mais à quoi ça sert ? De sa tour d'ivoire, tu crois qu'elle bougerait le petit doigt pour nous ?! Non !
La colère monte. Je me surprends à penser à Ugo, sans comprendre pourquoi ! Merde ? Pourquoi, quand je suis au plus bas, je pense à lui ? Lui que je n'ai pas vu depuis maintenant un mois.
— OK. 900. Je reste là. Je reste avec toi. On va réfléchir à ce que tu peux bien lui dire ce soir. Si j'ai bien compris, elle risque de te contacter avec ce machin d'une minute à l'autre. Pas le temps pour se plaindre ou exploser de colère, d'accord ? Rien n'est ta faute. Rien du tout, tu m'entends ? Tu es une victime comme nous tous ici. Comme moi, d'accord ? Alors ce soir on va répondre, faire comme si rien n'avait changé entre aujourd'hui et votre dernier appel, et on avisera plus tard !
D'un hochement de tête je me range à son avis et je ferme les yeux un instant, soulagée qu'elle ne m'en veuille pas, qu'elle ne me désigne pas comme responsable de son agression.
— Quoi qu'il en soit, tu n'as pas à lui mentir. Pour l'instant, sois franche. Concernant ta formatrice, la docteure Anand, dis-lui que ça avance, que tu es sur le point de récupérer ses notes.
En l'espace de quelques secondes, je suis rassurée. Elle a le don de prendre les choses en mains avec tellement d'assurance et de décontraction que ça m'apaise. Elle ressemble parfois presque plus à la deuxième génération qu'à la mienne.
— Alors, on le mange, ce dessert ? me dit-elle en espérant faire retomber la pression et en m'adressant un sourire affectueux.
C'est alors que le téléphone se met à sonner.
Cette sonnerie stridente m'agresse immédiatement et une brûlure désagréable me paralyse tout entière.
— Allez, me souffle-t-elle. Elle ne va rien te faire, cette vieille coincée !
J'étouffe un rire forcé et décroche.
— Martha ?
— C'est son nom ? chuchote mon amie.
— 900 ! Quel plaisir de vous entendre de nouveau !
Un haut-le-cœur m'envahit et aussitôt j'attrape le verre d'eau qui me fait face pour me dénouer le ventre.
— Je vous écoute.
899 tente de percevoir du mieux qu'elle peut les paroles de la régente en collant son oreille de l'autre côté du combiné. Elle me regarde tout en gesticulant et en mimant des indications que je tente de capter sur ses lèvres, en vain. Je lui adresse un regard noir et elle arrête aussitôt. Je sais qu'elle essaye de me détendre, de m'apporter son soutien, mais à ce moment je ne veux pas que la régente doute de ma loyauté et soupçonne une présence à côté de moi.
Vous n'êtes pas seule, 900 ? me demande-t-elle justement.
— Si, bien sûr que si, veuillez m'excuser, je... regardais un film !
— Bien 900, je vois que vous profitez de votre nouveau mode de vie.
— Je souhaitais m'excuser pour la semaine dernière, j'ai été retenue et dans l'incapacité de vous répondre.
— Oh ! Moi qui croyais que c'était délibéré !
Elle ricane à l'autre bout du fil et je comprends qu'elle ne croit pas un traître mot de mes excuses. Son mépris ouvert me fait bouillir de colère.
— Avez-vous fait ce que je vous ai demandé concernant votre formatrice ?
— J'y travaille, je pense pouvoir arriver à mes fins cette semaine. Malheureusement, un apprenti était affecté au classement de ses dossiers ces derniers jours et je n'ai pas pu m'introduire dans son bureau. Cette semaine, le champ devrait être libre.
899 m'adresse un clin d'œil que j'ignore afin de ne pas perdre ma concentration. J'entends la régente soupirer.
— Bien... Bien... Bien... Exceptionnellement, je vous laisse jusqu'à lundi prochain. Mais c'est bien parce que je vous apprécie particulièrement, 900. Vous êtes une bonne fille. À la semaine prochaine, n'est-ce pas ?
— À... à la semaine prochaine, régente.
— C'est ça... Et au fait, passez donc le bonjour à 899.
Puis elle raccroche.
Mon cœur bat à un rythme effréné et pour me soulager, je balance le téléphone contre le mur. Elle a osé parler de 899, je la hais.
Après quelques secondes de silence, nous laissons échapper l'une et l'autre un profond soupir de soulagement.
— Bon, une bonne chose de faite.

900 : La réinsertion (Tome 1)Where stories live. Discover now