Chapitre 26

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Une fois la porte fermée, tout le monde s'est entre-regardé, hésitant à propos de la marche à suivre, haletant, blessée. J'avais moi-même une entaille à la cuisse et m'étais pris plusieurs sales coups au visage et dans le dos notamment. Ethan saignait du nez et s'était apparemment fait mal au poignet. Tout le monde avait diverses blessures un peu partout, certains y avaient survécu, d'autres non.
Je suis restée adossée contre un mur, mes jambes étendues devant moi, et a fait un point de compression sur ma blessure à la cuisse pour limiter et si possible arrêter le saignement. Les gens ont commencé à se disperser un peu partout dans la plus grande salle. Certains discutaient, d'autres pleuraient, le reste se plaignait ou restait silencieux. Esther faisait les cents pas dans la pièce, affichait un air soucieux et ne faisait que réfléchir malgré le fait qu'elle aussi était blessée salement à l'épaule.
Alors qu'elle passait devant une fenêtre, un coup de feu retentit, fit voler le carreau en éclats et l'évita de peu. Elle se mit hors de portée d'un geste rapide, et respira profondément, avant d'échanger un regard avec moi, puis Ethan, qui essayait de calmer son saignement de nez sans toucher son nez, qui était apparemment cassé.
-Ils nous encerclent, affirma Ethan, qui gardait toujours un oeil tourné vers l'extérieur.
J'ai jeté un coup d'oeil dans la direction dans laquelle il regardait. Un type d'une trentaine d'années braillait au téléphone d'un air pas content, visiblement en train d'essayer de convaincre quelqu'un. Autour, il n'y avait personne d'autre, à part les tireurs en station qui se tenaient à bonne distance du bâtiments, prêts à nous abattre.
-Ils veulent nous garder à l'intérieur, ajouta Esther.
-Ils vont faire péter le bâtiment, ai-je compris. Il faut qu'on sorte.
Le type était seul, et essayait de les convaincre de tout faire péter. Ils nous gardaient à l'intérieur pour être sûr que personne n'en réchapperait.
-Il n'y a pas d'autre sortie ! S'est énervée Esther.
Ethan suivait notre rixe en observant d'un oeil l'extérieur. Il avait toujours son arme à feu déchargée.
-Donc ça consiste juste à choisir comment on veut mourir, ai-je finalement constaté.
J'ai pensé à la cave où j'avais découvert l'existence de mes pouvoirs, celle complètement vide. Peut-être que cet endroit-là était sûr. Mais VWR n'aurait pas mis un endroit pour nous protéger s'il avait aussi prévu des explosifs, c'était stupide.
De son côté, Esther paraissait plus paniquée que jamais. Elle aussi avait oublié de s'attacher les cheveux avant de venir, et ils formaient maintenant de grosses mèches sales, collées ensemble par le sang et la sueur. En haut, elle ne portait qu'un débardeur, et il était trempé du sang qui s'écoulait abondamment de sa blessure à l'épaule. Esther n'avait jamais été aussi misérable et paniquée qu'en ce moment, et ça ne la rendait pas triste. Ça la rendait furieuse.
-Je vais chercher une autre sortie, a-t-elle dit d'un ton pincé. Jana, Ethan.
Après ces salutations plus ou moins sommaires, elle est sortie. Je ne l'ai même pas saluée en retour et suis allée m'accroupir à côté d'Ethan. On est restés côte à côte pendant quelques minutes, à observer l'extérieur depuis l'angle réduit par notre point de vue et les gravats.
Il s'est levé d'un bond, a eu le temps de tourner la poignée de la fenêtre et de l'ouvrir légèrement avant d'éviter de justesse une balle. Il s'est à nouveau accroupi à côté de moi tout en poussant un glapissement de douleur. Il avait ouvert la fenêtre avec son poignet blessé. Ça m'a fait brièvement mal au coeur. Je n'aimais pas l'idée qu'il souffre.
-Si ça pète... commença-t-il.
-Quand ça pète, ai-je affirmé.
-On sort par là, a-t-il terminé.
-On aura le temps ?
-Aucune idée.
Nous nous sommes à nouveau tus. Il a enroulé son bras valide, le droit, autour de mes épaules. J'ai abandonné l'idée de calmer mon saignement à la cuisse, c'était sans espoir sans aide médicale.
Ça a pété. Ethan m'a serrée encore plus fort contre lui, et on a spontanément sauté par la fenêtre.
J'ai eu le réflexe de plier et placer mon bras devant mon visage, afin de le protéger du sol. Alors qu'on tombait, des petits morceaux de bâtiments sont tombés en pluie sur nous. Je les sentais frapper mon crâne, mon dos, l'arrière de mes jambes. Un bout plus gros m'a frappée au-dessus de la hanche. J'ai poussé un cri pour extérioriser ma douleur, qui a tout de même réussi à prendre le dessus.
J'ai entendu le bruit de ma veste de cuir qui râpait grossièrement contre le gravier, et loin dans l'arrière-plan, tout le reste. La fin de l'explosion, notamment. J'ai fermé les yeux. J'étais inconsciente -j'aurais aimé l'être.
Ensuite, les gens ont commencé à crier. Ils pleuraient, ils hurlaient et appelaient des noms, des gens, ils appelaient au secours. Des gens essayaient probablement de bouger et leurs essais résultaient en des cris de douleur déchirants. C'était une symphonie funèbre à la gloire des équipes d'assaut de VWR. Des larmes ont commencé à rouler sur mes joues, mais j'étais incapable de bouger ou de produire un seul son. J'avais mal à la tête, au bras, aux côtes.
C'était la fin. C'était ça. J'étais en train de mourir. J'étais pitoyable, sale, en larmes, en sang et en sang, enterrée sous des montagnes de gravats, et j'étais en train de mourir. J'étais infoutue d'avoir une dernière pensée correcte. Putain, Jana.
Alors j'ai simplement pris une ultime respiration et me suis laissée sombrer.

Échoués (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant