14. Victoire

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A mon grand étonnement, alors que je me trouve encore en train de tergiverser, je vois Hyacinthe rapprocher petit à petit son visage du mien jusqu'à effleurer mes lèvres avec les siennes. Un frisson me traverse le corps. Bon sang ! Comment diable, à peine un contact avorté peut me procurer tant de plaisir ? Je sens mon entrejambe se raidir à la promesse de la suite.

En dépit de ma certaine expérience, je pressens que faire l'amour avec Hyacinthe ne ressemblera à rien de ce que j'ai connu jusqu'à présent. Pire qu'une gonzesse ! Elle me ramollit le cerveau, ce n'est pas possible autrement. Qui de nous deux est celui qui piège l'autre ?

Quoi qu'il en soit, elle ne perd rien pour attendre. Il ne m'en faut pas plus. Ni une ni deux, je fais descendre ma main de sa joue vers sa nuque, m'en saisit et écrase fermement mes lèvres contre les siennes. Puis je pousse l'audace jusqu'à la titiller du bout de ma langue. Ses lèvres s'entrouvrent légèrement. Sans hésitation, je réponds à son invitation.

J'ignore à quoi elle joue, mais je compte bien profiter de cette occasion pour franchir l'étape suivante. Enfin, elle daigne baisser sa garde et me permettre de prendre possession de son corps et plus tard de son être. Je m'en réjouis à l'avance.

Bientôt, ses bras viennent entourer mon cou. Mes yeux ne lâchent pas les siens. Le moment est parfait, excepté qu'on se trouve dans cette fichue bagnole. Il y a plus pratique pour ce genre d'exercice. Je sens mon cœur tambouriner dans ma poitrine. Mon impression se confirme. Les sensations que j'éprouve sont beaucoup plus intenses que tout ce que je connais. Est-ce dû à sa naïveté ? Est-ce le goût de la victoire ? Les joies de la vengeance qui exacerbent mes sens à ce point ? Ou est-ce que cette femme possède quelque chose de différent que je n'ai pas encore su repérer ?

Malgré le désir qui m'oppresse, je prends l'initiative de rompre notre baiser tant qu'elle en ignore l'effet produit sur ma personne. Afin d'éviter le malaise traditionnel qui suit ce genre de moment, je m'éloigne et sors du véhicule sous le regard éberlué de Hyacinthe. Savourant la frustration que je lis dans ses pupilles, je fais le tour pour lui ouvrir sa portière. Nul doute qu'elle souffre autant que moi de la séparation de nos corps.

Sa main dans la mienne, je lui laisse le temps de s'acclimater à la fois à ce geste ainsi qu'à la vue qui s'offre à elle :

- Tu nous as conduits sur le port ?

- Exact ! Je me suis dit qu'on pourrait déjeuner tranquillement sur une terrasse au bord de l'eau.

Bien sûr, si j'avais su que ce n'était pas utile qu'une bonne séance de pelotage suffirait, je ne me serais pas autant décarcassé !

- Il ne fait pas un peu frais pour ça ?

- Pas tant que cela et puis les terrasses sont toutes chauffées de nos jours. Avec ce merveilleux soleil, on va vite se réchauffer.

Elle me regarde avec une petite moue, certes adorable, néanmoins dubitative. Cela ne me décourage pas pour autant et avant de lui laisser le temps de se défiler une fois de plus, j'attrape sa main et l'entraine en direction du restaurant. Je suis quelque peu surpris de constater qu'elle ne tente pas de se dégager de mon emprise. Bien au contraire, je la sens enfin, se détendre. Serait-elle en train de m'accorder sa confiance ? Je n'en reviens pas des bonds de géant que je fais aujourd'hui.

Mon égo tendrait à croire que j'en suis la seule cause, mais une petite voix dans ma tête demeure sur ses gardes. Il y a sans doute un autre facteur. Quelque chose dont je n'ai pas connaissance.

J'ai opté pour un petit restaurant discret dans lequel j'espérais qu'on serait à peu près tranquille. D'extérieur, il ne paye vraiment pas de mine, mais j'ai préféré miser sur la vue avec la terrasse sur le port et le calme plutôt que le raffinement apparent. Sans compter que quelque chose me disait que Hyacinthe n'est pas du genre à être impressionnée par un restaurant au prix exorbitant et une cuisine complexe. La surprendre ne peut que jouer en ma faveur.

Pendant qu'on marche d'un bon pas, je jette un discret coup d'œil en direction de Hyacinthe. Elle semble songeuse. Difficile de déterminer si cela représente une bonne ou une mauvaise chose pour moi. De toute façon, je ne vais pas tarder à être fixé.

Bien que sans doute inutile, j'ai pris soin de nous réserver une table. Je voulais être certain que tout se passerait bien, du moins autant que possible. Il n'y a pas grand monde à l'extérieur, à part nous. La serveuse revint assez vite pour prendre nos commandes. Nos plats arrivent et nos assiettes disparaissent aussi avec un certain rythme. Cela ne nous laisse que peu de temps entre pour discuter. Nous ne parvenons donc qu'à échanger des banalités. Au contraire de moi, elle n'en prend pas ombrage.

Hormis cela, le déjeuner se déroule comme prévu jusqu'au moment où un léger grondement se fait ressentir. J'observe le ciel, rien à signaler, de même du côté de Hyacinthe qui ne parait pas avoir entendu. Je finis presque par me convaincre que c'est le fruit de mon imagination lorsque le déluge s'abat sur nous, précédé de peu par un énorme deuxième grondement.

En quelques secondes, nous sommes plus que trempés, littéralement dégoulinants. Nous nous précipitons dans le petit espace intérieur du restaurant. Je m'empresse de déposer sur le comptoir quelques billets qui doivent peu ou prou correspondre au montant de la note. Puis, je me précipite dehors. Là, je cours jusqu'à la voiture. Une fois dedans, j'enclenche le chauffage et avance devant l'entrée du restaurant pour que Hyacinthe puisse venir s'y réfugier.

- Est-ce que ça va, mis à part la douche, bien sûr ? je l'interroge tandis qu'elle tente de se réchauffer, frottant ses mains l'une contre l'autre.

- Disons que j'ai connu mieux.

- Je ne pensais pas que cela se passerait comme ça.

- Tu ne pouvais pas prévoir qu'un orage éclaterait.

- Je ne parlais pas que de la météo, mais également du fait que tu es particulièrement silencieuse aujourd'hui.

- Je t'avais prévenu que je ne serais surement pas de bonne compagnie, mais comme d'habitude, tu as insisté.

- Tu m'en parlais, tu sais.

- De quoi ?

- De ce qui te préoccupe.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, j'ai juste des heures de sommeil en moins, c'est tout.

- Si tu le dis.

Je juge bon de ne pas insister. Il est évident qu'elle n'est pas encore prête à se confier à moi. Ça viendra surement avec le temps ou pas. Cela n'a pas vraiment d'importance, non ?

Je nous conduis directement chez moi. La maison que je loue est la première sur notre route et il est plus qu'urgent de passer des vêtements chauds. Je me doute que Hyacinthe n'appréciera pas l'idée, mais j'en ai cure à cet instant précis.

En effet, quand elle comprend que nous nous arrêtons chez moi, elle commence à s'agiter nerveusement sur son siège. Je sens qu'elle voudrait protester, mais les grelottements qui émanent de son corps ont raison d'elle. Elle m'accompagne à l'intérieur sans broncher.

Le rire du destin !Where stories live. Discover now