4. Fen

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Un temps incertain avant la chute de Mecia


Les textes des okranes terriens disent en substance ceci :

Lors, l'arrogance et la vanité d'un dieu déchu avaient infecté l'esprit des humains. Alors Kaldor envoya neuf cent quatre-vingt dix-neuf messagers de par la Terre pour qu'ils guérissent l'humanité.

Ils parcoururent les villes et les campagnes, prodiguant les miracles et l'enseignement de leur dieu. Mais bientôt ils éveillèrent des soupçons. Leur influence était mal perçue dans certains cœurs creusés par le pouvoir, ceux-là même où le déchu avait installé sa vanité. Comment ces humains pouvaient-ils mettre en cause leur enseignement, qui prédisait l'avènement d'un monde nouveau, entièrement guidé par la volonté d'un dieu destructeur et constructeur ?

Or ils proclamaient, au contraire, que l'humain était libre de tout dieu.

« Assez ! » dirent-ils, et les messagers de Kaldor furent balayés de la Terre. Toutefois, leurs enseignements demeurèrent enfouis dans le sol comme les graines d'un printemps nouveau.

Cela semble confirmer que les neuf cent quatre-vingt dix neuf sages de Kaldor ont bien existé. Il s'agissait d'humains, ou plus largement, de conscients. Je n'en ai retrouvé aucun avec certitude, pour la bonne et simple raison qu'ils étaient mortels et qu'ils diffusaient leur savoir dans l'ombre de l'Histoire...


Caelus, archives de la bibliothèque


L'esprit peut vaincre le corps.

Le diagnostic était tombé un mois avant sa naissance. Ses parents n'avaient tenu Zara que quelques minutes dans leurs bras avant le début des traitements. L'hospice de Mecia était devenu sa demeure, son seul horizon.

L'esprit peut vaincre toutes les barrières.

Les traitements avaient fait effet pendant les trois premières années de sa vie, avant l'apparition des premiers cristaux au niveau de ses mains. Ce n'était pas douloureux. En remontant le long de ses membres, la maladie nécrosait en premier les nerfs. Seule une vague sensation de froid demeurait, longtemps après la perte de ses extrémités, comme un vieux souvenir.

Lorsque les cristaux avaient atteint ses coudes et ses genoux, elle avait cessé de marcher.

Zara avait vu défiler des médecins de Mecia, souvent des samekhs. En premier venaient ces vénérables professeurs, si lents que leurs six pattes semblaient rouillées. Leur corps en forme de haricot, à la peau sèche et ridée, ressemblait à une vieille outre de cuir. Ils se balançaient un peu, comme si leur équilibre ne tenait qu'à un fil. Leurs têtes montées sur des cous ondulants avançaient jusqu'à elle.

Les enfants humains apprenaient à ne pas avoir peur de ces visages. Ils ressemblaient à des masques blancs et fixes. Leurs yeux secs ne reflétaient rien ; on aurait dit des marionnettes. Zara, elle, les avait apprivoisés plus tôt que quiconque.

Il y avait aussi ces médecins en apprentissage, dont la cour suivait les professeurs comme une file de poussins. Eux se contentaient de prendre des notes ; le verbiage ne semblait convaincre quiconque, pas même le médecin en chef.

Enfin, du public ; des personnes de passage à l'hospice apparaissaient quelquefois derrière la vitre, tiraient le rideau pour l'apercevoir. Dans leurs regards se trouvait un aperçu de l'âme humaine. De la curiosité, des frissons d'effroi ou de dégoût, plus rarement de la compassion.

Le Dernier Jour de MeciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant