22. Le purificateur

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Un jour avant la chute de Mecia


Sitrim avait renvoyé ses généraux. Il se trouvait seul devant la vitre de son aéroflotteur personnel, le Stathme à la main.

Mecia le défiait. Il lui tardait de cautériser cette déchirure sur le sol de sa planète. La force inexorable de sa volonté avait accéléré le plan initial du Stathme. Voici que l'empire rêvé voyait le jour en à peine une révolution de Palm !

« Notre messager n'est pas revenu, dit-il à haute voix. Ils n'ont pas écouté son annonce. Mecia refuse de se rendre. »

Il ne s'agissait pas seulement de récolter les fruits de son pouvoir divin. Sitrim était doté d'une mission. Une corruption pestilentielle rampait dans les cités de Palm. Il fallait frapper au cœur leur décadence. Déjà, sur son chemin, l'empereur avait jeté un regard déçu sur les joyaux de son royaume. Il avait fait pleuvoir les cendres sur les villes zayin autrefois acquises à sa gloire et qui se complaisaient maintenant dans l'indolence.

Que cet empire terrestre s'effrite ! Sa gloire à venir résidait dans les étoiles. Il lui tardait de mettre pied sur d'autres mondes, sur tous les mondes promis par le Stathme. Que Palm demeure en arrière ! Cette planète n'était que la première marche de son succès.

« Tout ceci est donc conforme à tes plans ? »

Le Stathme ne répondit point. Une poignée de blindés de son armée s'étaient avancés à couvert de la tempête pour narguer Mecia. Une procession de zayin acquis à la cause de Sitrim cheminait entre ces gros insectes de métal. Ils donneraient leur vie pour servir l'empire et le Stathme.

« Sitrim, le purificateur.

— C'est moi. »

Il n'avait aucun reflet dans la sphère de verre. L'œil se perdait aisément dans les intenses volutes du Stathme.

« Chaque ennemi que tu vaincras deviendra, lui aussi, une nouvelle arme.

— Que gagnes-tu dans notre alliance ? lança l'empereur.

Je t'offre le pouvoir. Tu m'offres la volonté. Nous nous complétons. Sans toi, l'empire des étoiles ne verrait pas le jour. Sans toi, je ne rejoindrais pas le monde que je recherche. »

En contrebas, les zayin secoués par la tempête chantaient les louanges du Stathme. Ils s'effondrèrent au sol, et le sol les aspira. Les monstres enfouis faisaient bombance.

Maintenant qu'il disposait de son pouvoir, maintenant que les sept dragons lui obéissaient, Sitrim avait-il encore besoin du Stathme ? L'empire des étoiles ne pouvait-il pas voir le jour sans la sphère opaque ?

Le sol se fractura sur une cinquantaine de mètres. Un bras de pierre s'en arracha. Les griffes se refermèrent sur un blindé, déchirant son métal. Renversé sur le dos, il ressemblait à un insecte écrasé. Des zayin qui s'enfuyaient tombèrent dans une autre crevasse.

« Tu m'as bien servi, dit Sitrim au Stathme. Tu m'as aidé à voir la corruption dans ce monde et tu m'as donné les armes pour le purifier. Tu as tourné mon regard vers les étoiles et aboli les limites que je m'imposais. Grâce à toi, je suis devenu un être divin. Je marche parmi les immortels et il me tarde de les remplacer tous. »

La sphère était si minuscule dans sa main griffue. Une larme noire cueillie à l'œil d'un géant silencieux.

Sitrim s'avança vers la baie vitrée. Les rafales de vent faisaient tanguer son aéroflotteur. Il retira le loquet de laiton et ouvrit la petite vitre d'aération de la main gauche. La force de la tempête le poussa en arrière. Il se rattrapa à l'aide de son troisième bras, cette protubérance noire et informe qui émergeait de son dos. Malgré le sable jeté sur lui par poignées, il progressa jusqu'à tenir le Stathme au-dessus du vide.

La sphère était si minuscule... et si lourde.

« Tu m'as bien servi, répéta-t-il. Mais j'ai appris de mes erreurs. Je ne dois faire confiance à nul autre qu'à moi-même. Une fois acquis un pouvoir, je dois me séparer de ce qui m'a permis de l'acquérir. Une force ne se rebelle-t-elle pas toujours contre son maître ? »

Le vent – ou le Stathme lui-même – secouait sa main déjà rougie par la poussière.

« Tu as raison, Sitrim Gar'niota. Car je suis ton maître, et voilà que tu te retournes contre moi. »

Une crampe douloureuse bloquait son bras. Il voulait lâcher la sphère, mais son corps ne lui obéissait plus ! Avec un cri de rage, il planta les griffes de sa main gauche dans son épaule droite. Puisque le Stathme lui résistait, il s'arracherait le bras !

En lieu de sang, une substance noirâtre, qui se diluait dans l'air, émanait de ses blessures.

Il tomba à la renverse et lâcha le Stathme sur le sol métallisé. La sphère éclata volontairement. L'être du Stathme n'avait plus besoin de ce support matériel ; il avait pleinement acquis une substance. La fumée violacée prit forme vaguement zayin et se pencha vers lui.

« Ils se rebellent tous contre moi, murmura le Stathme par-dessus le tumulte lointain de la tempête. Ils sont tous aussi ingrats que toi. Ces victoires trop faciles t'ont déformé, Sitrim Gar'niota. Il me faudra trouver un nouvel empereur.

— Non ! Faisons un nouvel accord. Passons un pacte. Je comprends...

— Je n'ai pas besoin d'un empereur, dit la créature. J'ai assez appris de toi. Il ne me manque qu'une embarcation pour arpenter le monde réel. Voilà ce dont j'avais réellement besoin. Ton corps jouera ce rôle.

— Non ! » s'exclama-t-il piteusement, repoussant le Stathme de la main.

Il trébucha en essayant de se lever. Une de ses jambes s'était détachée de son corps. Incapable de supporter la symbiose avec le Stathme, la matière se déformait et se fracturait. La vie encore présente en lui se refusait, et Sitrim était condamné à assister à ce spectacle.

« Je n'ai peut-être pas besoin de cette matière, constata le Stathme. Qu'est-elle, sinon un artifice de cette réalité ? Je peux créer une matière similaire. Je peux créer autant de corps qu'il m'est nécessaire. Je pourrais même aller et venir sans corps. Oh, il me tarde de retrouver ce que j'ai perdu. »

L'empereur ne pouvait plus parler ; tout juste voyait-il, du coin de l'œil, ses autres membres partir en poussière.

« Ce monde me répugne. Il ne compte pas pour moi. Aucun ne compte. Il n'y a que le tout premier monde... le tout premier... ce monde dont nous avons été bannis. J'avais besoin de ta volonté pour dégrossir la mienne. J'avais besoin de tes désirs grossiers pour affiner les miens. »

La créature sans visage se plaça à son niveau, comme un écran de fumée.

« Tu l'aurais compris, avec le temps. Il est sans doute nécessaire de purifier cet univers, Sitrim Gar'niota, mais tout procède de la même corruption. Toi, moi y compris. L'univers est un échec. Les dieux primordiaux ont failli. Le seul moyen de nous sauver de l'abîme est de revenir en arrière. Je te fais une faveur, empereur des zayin. Ton peuple est l'un des premiers sur le chemin de la rédemption. Il est nécessaire de disparaître, afin que le Tout puisse être reconstruit. »

La peau de son crâne s'effrita comme une terre asséchée. Sitrim Gar'niota disparut avec le sentiment vague d'avoir accompli quelque chose de grand...


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Hum hum !

Il se pourrait que ce chapitre contienne des références tout à fait pertinentes au projet Nolim. Dites-moi comment vous le percevez...

(Bisous de Gudule)

Le Dernier Jour de MeciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant