7. Le Stathme

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Quatre jours avant la chute de Mecia


Le Stathme.

Après la chute de Mecia, nous n'entendîmes plus parler de ce dernier ni de son origine.

Il nous fallut encore près de mille deux cent ans avant de remonter à la source du mal...

Caelus


Une décharge électrique courut dans le bras de Sitrim. La douleur fut brève, mais intense ; l'empereur-savant eut l'impression que sa chair se consumait et se détachait de l'os.

« Quoi ? »

Le Stathme désapprouvait son action téméraire.

Ne lui avait-il pas envoyé des visions de ses prédécesseurs et de leurs cuisants échecs ?

Il n'en était qu'au tout début des pouvoirs offerts, et voilà qu'il en faisait déjà mauvais usage ! S'il n'était pas capable de suivre un plan parfait, s'il ne pouvait ajourner la réalisation de son empire, différer dans le temps l'objet de ses désirs, il périrait ! Comme tous les autres ! Comme ce singe qui se saisit de ce fruit, par gloutonnerie, sans apercevoir le serpent caché sous les branchages !

Sitrim grogna.

Oui, il avait cette force en lui ! Oui, il savait reconnaître une nécessité !

Pour autant, Valinor ne devait pas lui résister plus longtemps. Il n'avait conquis jusqu'à présent que des terres zayin, déjà à demi acquises à sa cause. Le véritable défi commençait maintenant ! Si Valinor, la première ville sur son chemin, voyait sa volonté s'amollir, le monde derrière elle n'aurait plus peur. Il ferait bloc contre l'empire. Une conspiration monterait dans les ombres. Sitrim serait renversé.

Il crut que le Stathme se moquait de lui.

Son pire ennemi était visible dans le miroir. Non quelque assassin surgissant des draperies de son palais, mais lui-même. Lui-même et la capacité, par des actions inconsidérées, de mettre à bas l'ordre dont il avait toujours rêvé.

Il suffisait pourtant de suivre les conseils du Stathme !

« J'ai besoin de plus de pouvoir ! » clama-t-il.

La sphère accueillit sa prière avec désinvolture. Le Stathme avait déjà beaucoup donné.

Mais il y avait aussi une certaine admiration. La volonté sans faille dont Sitrim faisait preuve permettrait peut-être à son empire de voir le jour en quelques années à peine.

« Que dois-je faire ? »

Travailler, encore et sans relâche. Que plus de zayin, plus de savants, plus de mages s'attellent à cette tâche !

Dans cet univers, vos yeux ne voient rien. Nombre de pouvoirs dorment autour de vous. Ils vous seront montrés. Ils vous seront donnés.

Les seigneurs primordiaux seront réveillés. Les dieux déchus monteront à l'assaut sous votre férule.

Vous régnerez sur les dieux. Vous serez des dieux.

Sitrim se laissa aller aux douces pensées que répandait autour de lui le Stathme. À proximité de cette sphère, il lui semblait se tenir au sommet d'un phare, d'où il pouvait contempler les espaces infinis du monde supérieur. Et tous les rivages lointains qu'il lui tardait de conquérir...

« Et toi, que veux-tu ? Quelle est ton objectif dans tout ceci ?

Un monde.

— Que veux-tu dire ?

Il existe un monde. Un seul monde. Je le recherche.

— Tu t'es égaré, se rendit compte Sitrim. Nous t'avons recueilli. Eh bien, Stathme, ou quel que soit ton nom ! Lorsque les flottes de mon empire jailliront entre ces étoiles lointaines, lorsque je tiendrai l'univers dans ma main, je te rendrai ce qui t'est dû.

Certainement. »

Était-ce le Stathme qui lui parlait directement, ou bien... Sitrim inventait-il ce dialogue ? Les volutes derrière lesquelles s'effaçait la réalité jouaient-elles sur lui des mêmes effets que l'opium ? Délirait-il ?

Il referma le poing.

« Mes pensées sont claires, s'exclama-t-il. Elles ne peuvent que l'être. Ce monde pourrait-il partir en lambeaux, seul le pouvoir dont je dispose est réel.

Et ce pouvoir, je m'en servirai pour écraser Valinor.

Patience, seigneur. »

Il quitta son siège et héla l'un de ses généraux. Les détails d'un nouveau plan germaient dans son esprit. Le Stathme faisait son œuvre. Pour tous les zayin sous ses ordres, Sitrim Gar'niota était le plus grand stratège de son temps ; ils ignoraient le véritable pouvoir de la sphère.

« Nous allons prendre Valinor, annonça-t-il.

— Votre grâce, j'ordonne séant la mise en marche de nos troupes.

— Ne les déplacez pas. Je n'ai pas besoin de leur secours.

— Comment comptez-vous occuper la ville ?

— Je ne l'occuperai pas. Je la détruirai.

— Dans ce cas...

— Contentez-vous d'obéir à mes ordres. Au Sud de Valinor se trouve une colline dégagée, hors de portée des installations de défense de la ville. Vous allez m'y transporter, ainsi que le Stathme et une garnison de soutien. Ce sera tout.

— Le Stathme est un outil précieux, votre grâce. Il n'est peut-être pas opportun...

— La puissance du Stathme dépasse l'entendement. La matière dont il semble constitué n'est qu'un atour de façade. Croyez-moi, Palm toute entière pourrait être réduite en poussière, le Stathme serait encore là – et moi aussi.

— Je suis à vos ordres, votre grâce. Je vais faire les préparatifs.

— Nous partons dès que possible. Je veux que le soleil ne se lève pas sur Valinor. »


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L'histoire du jour.

Le nom "Stathme" provient de la notion de "Stathme euclidien" qui est un outil qui permet de définir la division euclidienne de manière généralisée, dans tout anneau euclidien.

Typiquement, le Stathme quantifie "le truc qui diminue" quand on fait une division euclidienne, pour dire "le reste est plus petit". Donc dans le cas de polynômes, c'est le degré. Dans le cas d'entiers, c'est la valeur absolue.

Ça n'a donc rien à voir avec Nolim, à part que j'aime bien le nom.

Le Dernier Jour de MeciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant