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À la soirée, Anatole fume en silence, l'air ailleurs. Quand ses yeux ont croisé ceux d'Angèle, il a trouvé la force pour la saluer de loin. Elle doit être encore plus paumée que lui.

— Hey, lance-t-il.

— T'as mauvaise mine, remarque-t-elle.

Il doit ressembler à un fantôme rouillé.

— Ça va ? demande Angèle.

— Ça va, assure-t-il. Et toi ?

— Ça va.

Ils se fixent un instant. Non, ça ne va pas. Mais ils disent que « ça va ».

— Tu veux danser ? lui propose-t-il.

— Tu le veux, toi ?

Il déglutit. C'est vrai que la brune a toujours eu cette manie de faire passer l'autre avant elle. Tout le contraire d'Anatole finalement.

— Je sais pas.

— Moi non plus.

Les deux restent assis. Et en sentant le silence les envelopper, Anatole se dit qu'il peut peut-être lui raconter ce qui s'est passé à la soirée. Peut-être qu'elle pourra l'aider vu qu'elle est aussi paumée que lui. C'est égoïste, mais quand il va mal, il a tendance à trouver du réconfort qu'avec ceux qui vont aussi mal que lui.

— Je peux te confier un truc ?

Angèle acquiesce. Il regarde ses yeux vides. En a-t-il aussi ?

Alors Anatole lui dit. Tout ce qu'il a fait. Tout ce qu'il aurait dû ne pas faire. Tout ce qu'il a raconté. Tout ce qu'il a essayé. En vain, il lui avoue qu'il ne sait plus quoi faire de lui. Que, parfois, il s'étouffe, qu'il s'ennuie, qu'il s'insupporte et qu'il a envie de comprendre qui il est. Parce qu'il a fait des choses mauvaises. Mais qu'il a toujours cru être quelqu'un de bien. Ça le dépasse.

Angèle l'écoute. C'est bon de se confier à elle.

— Je peux te dire un truc ?

Il hoche la tête.

La brune avoue alors qu'elle a essayé de reconquérir Selim. Qu'elle a tout fait pour qu'il recommence avec elle. Qu'elle a fait une bêtise en se disputant avec Coline. Qu'elle a l'impression d'être seule au monde et qu'elle sait que ça va peut-être passer, mais que l'amour l'a écœurée. Qu'elle vit son plus gros chagrin d'amour et qu'elle oublie parfois de respirer, tout en trouvant le temps de se détester.

— On est paumé, remarque Anatole.

— Tu penses qu'on peut s'entraider ? demande Angèle.

Peut-être. Mais comment ?

Les deux réfléchissent, tout en fumant leurs cigarettes.

— Je peux être ton pansement, propose le brun.

C'est toujours en trouvant quelqu'un pour remplacer l'être qui manque qu'il est sorti de ses ruptures.

— Tu crois ? demande la brune.

Ils n'en savent rien. Mais ils viennent de trouver un moyen, aussi bon que mauvais, pour être moins seuls, à deux, là, tout de suite.

*

Cet après-midi, elle traîne chez lui. Le brun regarde Angèle s'approcher et se dit qu'il a fait un mauvais choix en proposant d'être son pansement. Ça pourrait ruiner leur amitié. Ou lui faire encore plus de mal sans s'en rendre compte.

— Tu as rendu service à la fille alors ?

Anatole acquiesce. Dina n'est pas intéressée par les filles.

— Je crois pas que Lilia me pardonnera un jour. Je me pardonne pas moi-même, alors qu'elle le fasse, ce serait exceptionnel.

La brune fait la grimace.

— Tu me pardonnerais toi ? demande Anatole à sa nouvelle presque petite-amie.

Angèle fait non de la tête.

— Non, franchement, non. Même avec tout l'amour du monde, non.

Il lui jette un coussin dans la tronche.

— Tu m'enfonces, se plaint-il.

— Je suis réaliste, affirme-t-elle en lui relançant le coussin.

Anatole sourit. Premier sourire depuis des lustres. Peut-être qu'il devrait être réaliste aussi.

— Tu fais quoi là ? demande-t-il.

— Je lis le pavé de Selim.

Surpris, il se relève du canapé.

— Il t'envoie des pavés ?

— Oui, pour m'expliquer pourquoi il ne veut pas de seconde chance. Et je relis aussi le pavé que je lui ai pas envoyé parce que j'ai peur qu'il interprète mal mes pensées.

Le brun fronce les sourcils.

— Tu sais, tu peux juste lui envoyer « t'es qu'un connard » et ça passe crème aussi.

Elle éteint son portable et se rapproche de son presque petit-ami.

— On fait quoi ?

Il ne sait pas.

— Je sais pas.

Elle ne sait pas non plus. Les deux sont nerveux.

Alors ils se regardent un instant et soupirent tout en souriant. Ils sont désespérants.

— Ça fait quoi un pansement ? demande-t-elle finalement.

Elle connaît la réponse. Lui aussi. Mais ils n'osent pas trop. La dernière fois qu'il l'a vu autrement que comme une amie, c'était durant l'été. Mais c'était rapide, rien d'alarmant.

— Tu vas m'embrasser ? interroge-t-elle en le voyant s'approcher.

— Sauf si ça te brise le cœur, affirme-t-il sérieusement.

Angèle soupire.

— Il est déjà brisé.

Ils sont tellement dramatiques que ça le fait sourire tristement.

— Une autre fois, assure Anatole.

— OK.

Les deux se contentent de se regarder et de parler,peut-être que ça suffit. Peut-être qu'en fait, ils ont juste besoin d'être connectés en tant que confidents et pas forcément se compléter comme des pansements.

ZutWhere stories live. Discover now