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Avec la forte insistance de ses parents, Anatole est obligé de répondre à certaines questions trouvées sur Internet. Sa mère lui a parlé de « dépression ». Pour le brun, il n'y croit pas trop. Même s'il sait qu'il a un problème. Pour le brun, la dépression, c'est comme dire le mot « suicide ». Ça l'effraie, parce que ça peut être réel et aussi parce que ce sont des mots inconnus qui aggravent son état lorsqu'il les rencontre. Mais parfois, il doit faire un pas vers l'inconnu, pour mieux maîtriser cette peur.

— Depuis au moins quinze jours, presque chaque jour et toute la journée, est-ce que tu éprouves une tristesse inhabituelle, très douloureuse qui perturbe ta vie quotidienne ? lit la mère à voix basse.

Anatole fixe l'écran, se sentant vide et paumé.

— Ouais.

Il demande alors à ses parents de le laisser seul face aux questions pour l'instant. Il a besoin d'intimité pour ce moment. Sa mère et son beau-père quittent la pièce, inquiets.

« Avez-vous perdu votre intérêt pour la plupart des choses, comme les loisirs, le travail ou les activités qui vous plaisent habituellement ? »

Anatole ne sait pas trop. C'est compliqué à répondre. Il a arrêté de se concentrer sur beaucoup de choses, mais a retrouvé la photographie. Toutefois, il a lâché la prépa et n'a fait plus que dormir ou jouer aux jeux vidéos.

« Vous êtes-vous senti(e) épuisée(e) ou sans énergie ? »

Oui, marque-t-il sur le papier.

« Avez-vous pris ou perdu du poids — de façon inhabituelle et importante — sans le vouloir ? »

Il a perdu l'appétit, mais n'a pas bougé énormément, ce qui le laisse avec son poids habituel, mais avec un corps faible physiquement.

« Avez-vous eu des problèmes de sommeil (difficultés à rester endormi(e), de réveil très tôt le matin ou, au contraire, excès de sommeil, envie permanente de dormir) ? »

Le souvenir de la nuit dans l'allée lui remonte à l'esprit.

« Vous êtes-vous senti(e) plus lent(e) que d'habitude (par exemple pour parler ou pour vous déplacer) ou, au contraire, avez-vous été beaucoup plus agité(e) ou nerveux(se) que d'habitude ? »

Au fond, qu'est-ce qu'il en sait de la vitesse de ses actions. Mais il est plus nerveux qu'auparavant.

« Avez-vous eu beaucoup plus de mal à vous concentrer ? »

Pour certaines choses, non. Pour d'autres, trop.

« Vous êtes-vous senti sans valeur ou bon(ne) à rien ? »

Dans le salon, Anatole aimerait éclater tristement de rire. Cette question semble ridicule face à tout ce qu'il ressent.

« Avez-vous pensé à la mort, que ce soit la vôtre, celle de quelqu'un d'autre ou la mort en général ? »

Anatole baisse une nouvelle fois la tête, se rappelle les trois premières photos de son mur et de l'appel d'urgence. « Oui. » Il a pensé à la mort. Au « suicide » sous les roues de cette voiture. De cet abandon de la vie, même s'il lui a semblé minime, même si la voiture se serait arrêtée dans la nuit tant elle aurait roulé lentement. Mais même, Anatole y a pensé et ça lui fait encore mal subitement de le réaliser.

Après avoir relu ses réponses, il demande à ses parents de revenir.

— Alors, tu souffres de dépression ? demande sa mère, le front plissé d'inquiétude.

— Ce n'est pas un test pour savoir si je suis dépressif maman. C'est écrit que y a pas de profil type dans la dépression. C'est une série de questions pour savoir si je dois voir un médecin.

— C'est juste de la déprime n'est-ce pas ? espère son beau-père.

Anatole les regarde un instant. Dans ce foyer, tout le monde semble si inculte face aux troubles mentaux. Comme lui. Si effrayés par ces mots.

Au fond, ce serait tellement plus simple d'après lui de s'en sortir par lui-même, d'avoir foi en ses bonnes volontés, de se donner la chance de recommencer. Il peut le faire. Mais la veille, il a rechuté et parfois, il se sent bloqué et étouffé dans tout ce qu'il fait. Peut-être qu'Anatole veut trouver une solution parce qu'il a le courage de le faire, mais là, c'est peut-être ce dont il a besoin. Ses réponses sont comme un signal d'alarme. Peut-être pour aller mieux, il doit apprendre plus de lui-même, grâce à l'aide de quelqu'un qui saura le guider. Peut-être que c'est nécessaire dans son combat.

Et ça le blesse, parce qu'il se sent vulnérable face à sa peine. Et humain, atrocement humain, alors qu'il a fait des choses inhumaines.

Difficilement, la langue brûlante de mal-être, Anatole avoue :

— Je crois pas papa. Et pour le médecin... Je pense que j'ai besoin d'en voir un.

ZutWhere stories live. Discover now