Quand ma vie était encore cool...

42 3 0
                                    

Johnny

... ou presque.

J'ai la gueule de bois, l'impression qu'un pivert martèle mon crâne avec sournoiserie. La pièce pue le tabac froid et la gnôle. Je me relève sur un coude, avise le corps nu d'une blonde bien roulée, qui pionce en bavant légèrement sur l'oreiller. Je soulève le drap et constate que je suis à poil.

Merde, j'ai encore fait une connerie.

Je m'assois en silence sur le bord du lit, me masse la nuque, puis inspecte la chambre à la tapisserie nébuleuse. On est dans un vieil appart miteux de Red Hook, pas très loin de mon job sur les docks. Quartier emblématique de New York, Al Capone y a fait ses premières armes dans les années 30, et dans les années 80, il s'est transformé en capitale du crack, un vrai paradis sur Terre pour les tox. Maintenant, on y croise encore quelques vieux dockers, mais comme on a pleine vue sur Big Apple et la statue de la Liberté, le quartier est en train de devenir un véritable nid à promoteurs. Ça pue le fric à plein nez, mais, manifestement, celui-ci a oublié de passer par cette chambre.

J'attrape mon froc jeté en tas sur le sol, extrais mon paquet de clopes et en coince une à mes lèvres. Après avoir tâtonné les poches à la recherche de mon feu, je finis par embraser ma cigarette et aspire longuement. J'ai picolé hier soir après le boulot et j'ai oublié de rentrer à l'appart. Ilia risque de me passer un savon mérité. Je pousse un long soupir, déjà fatigué à l'idée de me coltiner une nouvelle scène d'hystérie, comédie qui devient de plus en plus fréquente, à mesure de mes écarts de conduite. Je ne suis vraiment pas doué avec les sentiments. Ils m'usent plus qu'autre chose. Quelquefois, j'envie ma frangine qui se contente d'échanger des SMS avec le sale type dont elle est amoureuse. Au moins, elle ne se tape pas les emmerdes du quotidien ou la présence d'un être humain qui agit sur elle comme une lotion abrasive. Je hais les gens. La plupart d'entre eux me débectent. Il n'y a que ma sœur qui arrive à sortir du lot, parce qu'elle est exceptionnelle, le genre de meuf avec qui l'on a envie de s'éclater sans se prendre la tête, et mon neveu, Aidan, parce que le môme sait boucler sa bouche d'ado quand il réalise que je fulmine et que je ne suis pas d'humeur. Avec le recul, j'ai conscience que je suis dur à vivre, que je me suis habitué à être seul, à me débrouiller seul, sans compter sur qui que ce soit. Je n'accorde ma confiance à personne et, en général, on me le rend bien. Ilia s'est accrochée à moi plus que de raison, même si je m'arrange toujours pour lui filer tous les motifs du monde pour me larguer. Même ça, je n'en ai pas le courage, sûrement parce que j'apprécie de la retrouver à la maison malgré tout ou parce que je n'ai pas envie d'user mes neurones sur une histoire qui ne pourra jamais bien se terminer. Je laisse seulement couler, à la recherche de quelque chose d'inaccessible.

J'enfile mon froc par-dessus mon boxer, le boutonne et passe mon t-shirt. Merde, où sont mes pompes ? Je tire quelques lattes, observe de temps en temps la blonde en espérant qu'elle ne se réveille pas, et dégotte mes boots sous le canapé. Une fois prêt, je prends le large sans regarder par-dessus mon épaule.

En passant sur Van Brunt Street, je commande un café au Red Hook Coffee Shop, puis me dirige vers l'arrêt de bus au bout de la rue. Il est dix heures du mat'. Ilia risque de transformer la piaule en parc d'attractions dès que je franchirai le seuil, d'autant que je pue le sexe à plein nez. Je me dégoûterais moi-même si je ne me détestais déjà pas autant.

Seule ma sœur ne me porte aucun jugement. Rien qu'une fois, elle m'a traité de connard, parce qu'elle avait dû consoler Ilia après une énième incartade de ma part, et Siana est à chier pour réconforter les gens. Pour me faire pardonner, j'ai dû lui payer un verre au bar à côté de chez nous, et il m'a fallu endurer plusieurs jurons durant la soirée, notamment liés à mon incapacité à garder ma bite dans mon froc. Quelquefois aussi, elle me surveille du coin de l'œil et je sais qu'elle cherche à me comprendre sans me pousser à parler. Je ne suis pas sûr qu'elle ait encore trouvé la bonne réponse. Peut-être un jour.

Hot Gun (paru chez BMR)Where stories live. Discover now