1923 Bourbon Bar

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Cheyenne

Une fois douché, John sort de la salle de bains habillé. Les cheveux humides, il ramasse ses fringues sales et les colle sur la chaise, puis il attrape une cigarette et l'allume alors que la chambre est non-fumeurs. Il s'arrête ensuite devant moi, me fixe un moment sans ciller, me mettant mal à l'aise, comme à chaque fois que ses magnifiques iris bleus m'effleurent, aussi brûlants que glacials. Puis il lâche de son ton rude :

— T'as d'autres fringues que ça ? C'est pas terrible.

J'écarquille les yeux de stupéfaction et serre les mains entre mes jambes pour calmer ma nervosité.

— Je... Un jean, dans mon sac, et quelques t-shirts de rechange.

— Alors, vire-moi ce jogging et colle un jean sur ton cul. On sort.

— Mais où ?

— Je te l'ai dit : j'ai besoin d'un verre, et de bouffer aussi, j'ai faim. On est en vacances, après tout.

Il renifle, puis s'empare de son téléphone. Il le plaque à son oreille, pendant que je fonce prendre mon pantalon dans mon sac. Je me dirige ensuite dans la salle de bains lorsque je l'entends parler à Siana, lui expliquant brièvement la situation et lui assurant surtout que je vais bien.

Je suis contente que Siana ne soit pas là. Elle a vécu assez d'emmerdes pour toute une vie sans avoir, en plus, à supporter les miennes. Je m'en veux déjà terriblement de lui prendre son frère sans savoir vers quel destin foireux je risque de le conduire. Ce que me réserve l'avenir n'est généralement pas des plus brillants. Même ce petit interlude à Wild High City – que la chance m'a accordé des mois plus tôt dans les bras de John –, j'ai réussi à le faire foirer. J'ai peur de l'entraîner dans une spirale effroyable de laquelle il ne réchappera pas, et même si je crève de plaisir de l'avoir près de moi, je ne supporterai jamais qu'il lui arrive du mal.

Je vire mon jogging trop large et passe le jean que m'a donné ma copine, qui ne tombe pas très bien sur moi non plus. J'enfile un débardeur, attrape un élastique, ramène mes cheveux sur le côté et les noue rapidement en une queue-de-cheval négligée. Je jette un coup d'œil dans le miroir et, dépitée, constate que je ne ressemble vraiment à rien d'humain. Mes yeux sont rouges ; j'arbore de magnifiques cernes qui me les rendent encore plus sombres. Je n'ai pas l'habitude de mettre du maquillage, à part un jet de mascara, mais à cet instant précis, je dois convenir que j'en aurais bien eu l'utilité pour camoufler l'ampleur des dégâts. D'ordinaire, je m'apprête peu, je n'ai aucune envie de plaire à qui que ce soit, préférant passer inaperçue quand je marche dans la rue ou que je travaille au restaurant. Mais John change la donne. Depuis le premier jour où j'ai croisé son regard, il a fait voler en éclats mes défenses, peut-être parce que deux êtres blessés par la vie savent se reconnaître lorsqu'ils s'aperçoivent.

Faute de maquillage cependant, je me contente de me passer un peu d'eau sur le visage et de me brosser les dents. Je ne sais vraiment pas ce que John me trouve ou pour quelles raisons il perd son temps avec moi. Je suis hideuse, aussi bien intérieurement qu'extérieurement à présent.

Pendant une bonne seconde, la sensation du couteau dans ma main me revient brutalement et l'image de la gerbe de sang, suivie du regard interdit, puis vitreux de mon oncle, me saisit à la gorge. J'ai l'impression de suffoquer, je m'agrippe au bord du lavabo pour ne pas chuter, et ravale péniblement la bile qui remonte le long de mon œsophage. J'essaie de respirer, mais je n'y parviens pas. La tête me tourne.

Une main se pose soudain sur mon épaule. Je manque de sursauter et de hurler, mais je croise le regard chaleureux de John dans le miroir. Sa paume glisse le long de mon bras et se loge sur ma taille pour me ramener contre lui. Le nez dans mon cou, il murmure :

Hot Gun (paru chez BMR)Where stories live. Discover now