Quand je suis l'orage...

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Marley

C'est vraiment le trou du cul du monde ici. J'adore Vegas, mais alors les steppes de grès qui sont battues par les vents toute la sainte journée, sous un soleil de plomb qui semble rôtir à peu près tout ce qu'il y a de vivant dans le coin, très peu pour moi. J'aime l'odeur de la mer, la brise marine emplie d'embruns, j'aime le goût du sel, la sensation de la flotte sur mon corps quand je surfe au milieu des vagues, en prise avec la nature, la déferlante, le danger. Mais ici, que dalle. Pas un ver à la ronde ne doit survivre. Un champ pour les coyotes ; une terre plombée, aride, morte. Je finirai peut-être là, d'ailleurs, si Salvatore m'explose le crâne. Telle de la bouffe à bestiaux.

J'ai roulé pendant quatre heures après ma descente de l'avion. Je suis cramé, j'ai fumé quinze clopes, mes poumons sont en feu, j'ai envie de pisser, de pioncer, sans compter que je vais devoir me la coller sur l'oreille à cause de John Miller, encore un truc à rajouter à son ardoise. Sa note sera salée. J'obtiens toujours qu'on me règle ce qu'on me doit, peu importe le temps que ça prend. Certes, sur ce coup-là, le temps s'avère plutôt limité. Date de péremption : fin de la semaine. Au-delà, je suis mort, il est mort, l'Indienne est morte. On organisera une grande party en enfer tous ensemble.

Je pince les lèvres, lâche un grognement, puis bascule la nuque en arrière contre le dossier de mon siège. La nuit est tombée et, dans cette cambrousse, il commence à faire aussi sombre que dans le cul d'une poule de luxe. J'éteins ma clope dans le cendrier, jette un coup d'œil à ma montre. Ça doit faire deux bonnes heures maintenant que le pavillon est plongé dans le noir.

J'espère que vous faites de jolis rêves, mes cocos. La nuit sera épique.

Je prends mon sac, en sors mon Beretta, vérifie le chargeur, trace un rail rapide, m'essuie le nez, me sens exploser d'énergie. Mes doigts s'agitent sur le volant, tapant en rythme sur une musique silencieuse.

Un, deux, trois, Johnny sort du bois...

Quatre, cinq, six, l'Indienne écarte les cuisses...

Sept, huit, neuf, Marley prend la meuf...

Je rigole tout seul en descendant de voiture. Le flingue contre la hanche, j'avance à pas feutrés en direction du bungalow, planqué à Tuba City. Plus paumé, tu crèves. Dès que j'en ai fini avec cette histoire, je me prends une cuite à Vegas, deux putes, et sniffe trois kilos de dope, jusqu'à ne plus sentir mes narines. La vie est belle !

En attendant ce jour mémorable, je dois rester concentré. Le frangin doit penser que des mecs à moi débouleront tôt ou tard dans son champ de vision. En revanche, il ignore que me taper le sale boulot ne me dérange pas, qu'il est toujours bien mieux réalisé quand je suis aux commandes et que j'ai vraiment un compte à régler avec lui et, à travers lui, avec sa jolie grande sœur au cul sexy. Trop bon, trop con, la salope s'est bien servie de moi.

Je longe le bungalow, jette un discret coup d'œil par la fenêtre du « salon » – une espèce de boui-boui ridiculement minuscule – puis lorgne le système de sécurité inexistant – inexistant, puisque la fenêtre est grande ouverte !

Je me hisse tranquillement dans la pièce, en me vautrant à moitié sur le divan. Je rabaisse la vitre dans un silence religieux, puis, arme en main, me redresse, à l'affût. À peine je pose le pied sur le sol que le bois pousse un gémissement plaintif. Je me fige, l'oreille aux aguets, ne remarque rien, et avance dans l'obscurité. Impossible de se tromper, la porte du fond ne peut donner que sur l'unique chambre de la cabane, celle de droite, sur les chiottes.

J'attrape la poignée et, doucement, le cœur martelant plus vite, je l'abaisse. La dernière fois que je suis rentré par effraction dans une piaule, je devais avoir dix-huit piges et je forçais la chambre de mon connard de père pour lui piquer sa Rolex. Je me suis fait choper ; il m'a roué de coups jusqu'à ce que je saigne du nez comme une fontaine, et il a dit : « La prochaine fois, tu feras mieux que ça. » Depuis, en effet, j'ai fait mieux, brandissant mon majeur à la gueule du vioque ; j'ai diversifié mon business et je laisse désormais le plaisir de l'effraction à mes gars de la rue. Mais une fois n'est pas coutume, remettre la main dans le cambouis n'est pas pour me déplaire. J'adore cette adrénaline qui draine mon sang, me donne le sentiment d'être vivant, pugnace, prêt à mordre, tandis que je pousse lentement la porte. La lèvre inférieure coincée entre les dents, les doigts entourant amoureusement la crosse de mon flingue, je pénètre dans la chambre.

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⏰ Last updated: Jul 16, 2019 ⏰

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Hot Gun (paru chez BMR)Where stories live. Discover now