En vadrouille

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Johnny

Vegas ! La ville ne m'avait pas manqué plus que ça. Chaque fois que je remets les pieds dans le Nevada, je me chope des crampes d'estomac, mes jambes me démangent comme si j'avais la bougeotte. Revenir ici équivaut à glisser une corde autour de mon cou. Je déteste cette ville, cet État, ces routes longilignes qui se perdent au milieu des gorges de grès ocre. Je hais à peu près tout ce qui se déroule à des miles à la ronde. Je voudrais être partout ailleurs, mais elle est là. Quelque part dans cette putain de cité du vice. C'est bien ma veine.

Natasha Blume dans les oreilles, avec Journey, je quitte l'aéroport de Vegas, m'allume une clope une fois dans la rue, repère une vieille qui grimace en me voyant fumer. Je lui balance un doigt d'honneur, accompagné d'un clin d'œil lascif, ce qui lui arrache un hoquet de stupéfaction, et me fonds dans la foule dense du McCarran Airport.

Je poireaute un moment dans la file d'attente pour prendre un taxi. Une fois installé sur le siège arrière, je lui demande de me conduire directement au Motel 8 sur le Strip, à quelques pas de l'aéroport.

J'ai eu tout le trajet en avion pour songer au bourbier dans laquelle s'est fourrée Cheyenne et trouver une solution pour l'en sortir en un seul morceau. Conclusion, j'ai rien, que dalle, à part l'intime conviction que je dois être là.

D'abord, j'ai dû me débarrasser de Siana qui insistait pour sauter dans le premier avion, mais Ilia hors jeu, plus personne ne pouvait rester avec Aidan en son absence, et je ne tenais pas à ce qu'elle coure des risques inutiles. Se préoccuper de deux femmes en même temps, dont ma tarée de frangine, pourrait conduire le plus baraqué des hommes au suicide. Je ne suis pas assez fou pour tenter le diable. Je laisse ce plaisir à son abruti de copain. Du reste, ce serait la servir sur un plateau à Marley qui n'attend que l'opportunité de fourrer sa langue dans la bouche de ma sœur – pour ne pas évoquer la partie de son anatomie qui me donne la gerbe –, et il est hors de question que ça se produise de mon vivant.

Ensuite, j'ai tourné et viré pendant des heures dans mon salon, fumant clope sur clope, pour me calmer les nerfs, avant que Cheyenne ne trouve le moyen de me recontacter. Je jure sur ma vie que, en entendant sa voix, j'ai senti mon cœur gonfler dans ma poitrine au point de me faire mal. Je n'ai jamais été si content de parler à une femme.

Elle avait réussi à s'enfuir et avait temporairement trouvé refuge chez une copine à Maravilla, mais ça craignait. Marley ne tarderait pas à dégotter son adresse ; elle ne pouvait pas rester sur place.

Munie d'un peu de fric et de vêtements de rechange que sa copine lui avait filés, elle avait décidé de partir pour Las Vegas par le premier bus. J'ai essayé de la convaincre de m'attendre avant de bouger, mais elle n'a rien voulu entendre. Elle souhaitait juste quitter la ville coûte que coûte et, comme elle n'écoutait rien, torpillée par la panique, j'ai fini par céder sur ce point, mais pas sur celui de la rejoindre. Et d'ailleurs, ses maigres exhortations pour m'en empêcher ne m'ont pas paru très convaincantes ; elle était morte de trouille.

Pendant tout le vol, j'ai tapé du pied sur le sol, à fleur de peau. Je me catapultais tête baissée dans un gouffre débordant de purin, à la mode Marley, et je partais pour retrouver une femme que j'avais fuie plus qu'autre chose, parce que j'avais peur de la casser.

La vie ne propose jamais ce qu'on en attend.

Et je me demande si c'est bien ou mal.

Le taxi m'arrête sur le parking du motel, en face du Mandalay Bay. L'hôtel chic est illuminé par des panneaux jaunâtres, lui donnant des allures de vaisseau spatial. La nuit qui se déploie sur Vegas paraît surnaturelle, comme si on pénétrait dans un univers tridimensionnel, avec des lumières giclant de partout en même temps que les fontaines.

Hot Gun (paru chez BMR)Where stories live. Discover now