Trois petites secondes -3-

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Quatre mois plus tard

Je me tenais debout. Mes jambes portaient le poids de mon corps et m'obéissaient. Je pouvais leur ordonner de marcher, de courir, même. Pour de vrai, cette fois si.

Elle cependant n'est toujours pas là. Mais je m'y fais, petit à petit. J'accepte le fait que je ne la tiendrai plus dans mes bras, que je ne la verrai plus.

J'accepte qu'elle soit partie à jamais.

Je me tenais donc réellement debout, devant le grand tableau noir de la classe d'anglais.

"- Il y a quelques mois, vous aviez fait une rédaction, qui devait parler que quelques petites secondes pouvaient changer votre monde. Et aujourd'hui, Miles va vous lire la sienne.

La classe est soudainement plongée dans un silence pesant, et encore une fois, j'ai l'impression que l'avenir du monde entier repose sur mes épaules.

Je nage en pleine hésitation. Cette rédaction reflète vraiment ma vie, voire trop, et je n'ai pas spécialement envie de me mettre à nu devant tout le monde. Mais d'un côté, je pense qu'ils ont besoin de savoir. De savoir pourquoi Betty Marsh n'était plus revenue à l'école après la nuit du douze septembre 2016. De savoir pourquoi moi, Miles Hodge, ne suis revenu qu'un mois après, en fauteuil roulant.

Je pense qu'ils ont le droit de savoir, après presque un an pourquoi je ne souriais plus, pourquoi je ne parlais plus.

J'hoche la tête et respire un coup.

"- On a besoin seulement de trois petites secondes. En trois petites secondes, l'avion rentre en contact avec la falaise. En trois petites secondes, la voiture écrase le piéton. En trois petites secondes, la balle vous atteint. En trois petites secondes, l'eau rentre dans vos poumons. En trois petites secondes, vous disparaissez, votre coeur cesse de battre et votre teint perd ses couleurs.

On vit en ignorant la mort. On vit dans l'assurance, on vit persuadés qu'on ne mourra qu'à quatre-vingt dix, cent ans. On s'en cache, on lui met un masque, et on essaye de vivre sans y penser, on se convainc nous même que ce n'est pas maintenant.

On vit dans l'ignorance.

Notre vie n'est pas déjà tracée, mais nous vivons comme si chacun de nos pas était programmé.

Nous ne savons pas. Des enfants meurent de leucémies à sept ans, et nous passons à côté, en nous disant que ça n'arrive qu'aux autres.

Mais c'est faux. Un jour elle arrive, dans son long manteau noir et emporte ce que vous avez de plus cher à vos yeux.

La mort est le seul rendez-vous qui ne soit pas noté dans votre agenda. Il n'y a pas de décompte, pas de minuteur, elle tombe au moment où l'on s'y attend le moins.

Ces trois petites secondes, elles n'auraient pû ne pas arriver. On entend toujours autour de nous nos parents, les gens nous répéter qu'on ne doit pas parler aux inconnus, qu'on doit savoir dire non, qu'on ne doit pas fumer, qu'on ne doit pas conduire après avoir bu. On les entends nous répéter "fais attention à toi".

C'est devenu quelque chose d'habituel, une sorte de routine, auquel, quand on est enfant, on répond simplement oui d'un hochement de tête avant de repartir jouer.

Mais quand ils vous disent ça, ce n'est pas une simple phrase pour eux. S'ils vous disent ça c'est parce que ces gens tiennent à vous. Ce n'est pas parce que vous n'êtes qu'une petite tête parmis les sept-milliards de la Terre que vous ne comptez pas.

Mais ça, on l'apprend seulement une fois les trois petites seconds écoulées.

C'est vraiment dommage de ne se rendre compte à quel point les gens sont géniaux, à quel point on les aime qu'une fois qu'ils sont partis, une fois que les trois petites secondes sont écoulées.

DEAR FUCKING WORLDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant