Monde d'aveugles

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Je me suis rassis à ma place. Le groupe d'idiots s'est tiré.
Un gars, aux origines asiatiques s'approche du banc et s'assoit.
Blasé.
Chaussures noires sans marques, usées jusqu'à la corde. Yeux noirs, vidés d'expressions.

Intéressant.
Je me plonge dans la lecture de sa vie.

Tokyo, 2018

Elle avance dans les rues grisées, marche d'un pas rapide.
Le col de son pull recouvre son nez et sa bouche, de façon à ce qu'elle n'ait pas à sentir l'odeur nauséabonde de la ville. Un mélange de pollution, de clopes et de pisse de clochard.
« - Mademoiselle ! l'interpelle une voix masculine.

Elle presse encore le pas.

- Fais pas la sourde sale pute !
- Mais ferme ta gueule non ? demande-t-elle en se retournant vers l'homme.
Pas plus de vingt ans, une casquette sur la tête plus qu'inutile étant donné que le ciel de la banlieue de Tokyo est tout le temps recouvert par un épais nuage gris.
- Ta mère, avance, grogne-t-il.

Elle roule des yeux et rentre dans l'épicerie la plus proche.

- Ning, l'accueille le marchand.
- Hey.

La jeune fille s'enfonce dans les rayons du modeste magasin et s'arrête devant l'alignement de bouteilles d'alcool.
Elle se dresse sur la pointe des pieds et attrape une bouteille de vodka.

- 10 yuans, annonce l'épicier.
- Avec un paquet de clopes.
- 13 yuans.

Elle sort de sa poche un billet, prend la monnaie et sors de la boutique.

***

« - T'es vierge ? demande le garçon.
- Si t'es venu dans ma chambre pour ça casse toi, râle la jeune fille.
- Putain t'es chiante on s'ennuie avec toi.
- Bah casse toi je t'ai dis ! S'énerve-t-elle.

Il grogne quelques paroles inaudibles et sors de la chambre en claquant la porte.

- Ça va ? demande Zayn, la seule personne de l'internant dont Ning supporte la présence.
- Je ne sais même pas comment ça peut aller dans ce trou à rat, sourit-elle.

Le jeune homme s'assoit sur le lit.
- Je peux ? demande-t-il en désignant la bouteille de vodka.
- Oui bien sûr. On va sur le toit ?

Étant dans cet internat depuis plus de dix ans, Ning avait hérité une des meilleures chambre du bâtiment, au dernier étage et possédant un balcon où un escalier menait sur le toit de l'immeuble.
Les adolescents s'assirent, leurs jambes pendant dans le vide.

- On se sent puissant là, tu trouves pas ? questionne Ning.
- Ouais, sourit Zayn. On a l'impression qu'on domine le monde.
- Alors qu'en vrai on est tellement des merdes que même nos parents n'ont pas voulu de nous.
- Arrête. C'est pas qu'ils ne voulaient pas de nous.
- Ho oui, excuse moi. C'est vrai que ma mère devait vraiment avoir envie de vivre avec moi quand elle s'est suicidée, se braque-t-elle.
- Viens là, dit-il en ouvrant ses bras.
Elle s'y blottit.

- Avant de partir, ma mère m'a dit que seuls les aveugles pouvaient réellement sourire. Car ils ne voyaient pas le monde de merde qui nous entouraient.

Il la regarde, et place une de ses mèches noires d'ébène derrière son oreille.

- Nous on doit déjà en avoir trop vu.

Elle avale une gorgée d'alcool, et regarde l'immensité de la ville s'étendre à ses pieds.
Puis elle lève les yeux et en vois le parfait contraste.
L'immensité noire, sans étoile, opaque.

DEAR FUCKING WORLDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant