Rigole, Leith

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C'était une fille et un gars, encore une fois. Elle était habillée de toute les couleurs, et putain c'qu'elle souriait.
Lui aussi.
J'avais jamais vu des sourires aussi sincères que les leurs. Et j'me dit que pour être autant heureux, faut avoir vécu quelque chose, quelque chose qui nous a fait comprendre qu'on devait profiter.
Je me plonge dans la lecture de leurs vies.

Ils s'assirent sur le toit, les jambes dans le vide.

« - Qu'est-ce qui te rend heureuse ? lui demanda-t-il subitement.

Elle ria nerveusement.

- Heureuse ? Sérieusement ?

Il acquiesça, et elle écrasa sa clope dans l'cendrier en détournant le regard. Elle réfléchit un un instant avant de se tourner vers lui.

- Je ne suis pas heureuse.

- Je sais. Mais qu'est-ce qui pourrait te rend heureuse ?

- Rien.

- Mais réfléchis, y'a bien des trucs !
- Mais rien putain, rien ! Tu voudrais que je te réponde quoi ? Que j'adore sortir la nuit, danser dans les rues de Paris jusqu'à pas d'heure ? Manger un croissant dans un café avec mes potes ? Courir sur la plage en criant que le monde est beau ? M'allonger dans l'herbe et compter les étoiles filantes ? Me poser sur les toits et r'garder un putain de soleil se lever ?!

- J'adore regarder le soleil se lever, dit-il habitué à ses tirades.

- Mais putain c'est tout les jours les mêmes tes soleils à la con ! Il se lève tout les jours au même endroit ! Tu le vois une fois génial ! Mais pas tout les jours ! Putain ! Tu comprends pas que j'arrive pas ?! Que c'est plus fort que moi et qu'à chaque endroit où j'passe je rends tout le monde malheureux ?!

Elle se calma puis reprit.

- Tes soleils je les aies comptés pendant trois mois. Trois putains de mois ou j'me demandais à chaque fois si la prochaine fois que j'remonterai sur ce toit il serait encore en vie. Trois putains de mois où chaque matin, je me demandais si c'était pas le dernier avec lui.
Donc maintenant j'en ai plus rien a branler. Un soleil qui s'lève c'est beau quand ta vie est belle. Là, c'est juste un matin comme les autres, où j'me rapproche peu à peu de lui.

- T'adorais regarder les étoiles. J'me rappelle quand on était gosse on allait ici, et on s'allongeait avec nos oreillers. Tu m'apprenais plein de choses. Comme par exemple que, même si la constellation de Cassiopée nous semblait loin, il y avait une encore plus grande distance entre chaque étoile qui la composaient. On comptait les étoiles filantes en faisant des vœux. Et chaque soir tu disais que fallait faire le même parce que comme ça, les étoiles seraient obligées de nous l'accorder parce qu'on les soûlerait a répéter plein de fois le même vœu.

Elle esquisse un faible sourire.

- Et là on est là. Tu fumes, tu bois. T'as des cernes immenses et des yeux rougis par les larmes. Tu dors plus, tu manges plus. Tu cries la nuit, durant tes rares heures de sommeil. T'insultes les étoiles alors que tu les adorais avant. Pourquoi tu les insultes, dis ? Pourquoi tu les aimes plus ?

- Je suis jalouse. Elles peuvent le voir autant qu'elles veulent, il est avec elles. La nuit quand je monte sur le toit parce que j'arrive pas à dormir elles me r'gardent. Elles me narguent, les étoiles. Alors que je suis sûre qu'elles sont tristes dans l'fond parce que y'a plus personne pour les regarder. Le gosse qui les regardait s'est tiré à sept ans dans une chambre d'hôpital. Puis il s'est tiré tout court à neuf ans. C'est pour ça qu'elles sortent que la nuit, les étoiles, pour pas qu'on les voit pleurer.

Elle se tait, lui aussi. Ils restent là, les yeux perdus dans les étoiles.

- Il était comment ? reprend-t-il.

Elle hésite. Elle se mord la lèvre, elle sait pas. Elle savait jamais quoi répondre en fait. A son sujet du moins.

- Drôle. Il riait tout le temps et faisait tout le temps rire les autres. Il adorait la pluie, mais seulement quand il faisait chaud. Il n'a jamais skié. Il aurait bien aimé mais il pouvait pas, tu vois ? Il s'plaignait jamais. Il était super mature. Enfin pour neuf ans. Il faisait rire la galerie, avec des blagues plus ou moins nulles. Enfin non. Elles étaient tout le temps nulles.

Elle esquisse un faible sourire.

- Puis physiquement il avait des yeux verts. Pétillants jusqu'à un certain âge.
Des joues rebondies, un sourire éclatant et des taches de rousseurs.
Ses cheveux étaient blonds au début.

- Et après ?

- Après y'en avait plus.

Il déglutit, ne sachant pas trop que dire.

- T'es pas obligé de dire quoique ce soit,  le rassure-t-elle. Les gens savent pas quoi répondre. Et c'est mieux comme ça, j'préfère un silence total que des condoléances merdiques.

- Comment ça va, il demanda simplement à son plus grand étonnement.

Elle le regarda sans comprendre.

- Je te demande comment ça va.
- T'es complètement bouché ma parole. Je viens de te dire qu'y'avait plus rien qui allait.
- Tu comprends pas.
- Pas comprendre quoi ?
- Tout.
- Mais tu te fous de ma gueule c'est ça ? Qu'est ce que je pourrais ne pas comprendre ? Elles sont où les caméras la ? C'est pas drôle !
- Mais c'est toi qui te fous de ma gueule, il hurle. T'as l'impression d'être la seule à souffrir ? Que y'a que toi qui va pas bien ? Mais Putain ce que tu peux être bornée ! T'es pas la seule sur terre, t'es au courant ?!
- Mais...
- Laisse moi finir ! Ça fait un an. Un an que comme tu dis ton petit monde s'est écroulé. Que tu t'es écroulée. Et moi dans tout ça ? Je sombre peu à peu avec toi. C'était toi mon monde avant, tu comprends ? Donc arrête de chialer. Fais un effort. Ouais il est mort. Mais toi t'es en vie pour le moment, ok ? Moi j'en ai ma claque, ça fait un an que je supporte ça, que les seules fois où tu me parles c'est pour te plaindre. Je sais que c'est pas facile, ouais je sais. Parce que comparé à ce que tu penses t'es pas la seule à avoir une vie de merde. Mais t'as tout pour te ressaisir. T'as moi déjà. T'es belle, jeune, en bonne santé. Tu pense vraiment que ton frère il aurait voulu te voir comme ça ? Chialer jour et nuit et être à la limite du suicide ?
Alors non toute cette merde n'est ni un poisson d'avril ni un mauvais rêve.
Oui, c'est horrible de se lever chaque matin en se rendant compte que ce n'est pas un cauchemar mais juste la pauvre réalité.
Mais la vie c'est pas un cauchemar tout le temps.
C'est comme quand tu dors. Tu cauchemardes, t'es dans ton subconscient et tu peux rien faire, mais tu te réveilles bien à un moment.
Donc la faut juste patienter un peu dans ton cauchemar pour arriver dans un beau rêve, une autre version de la vie.
Alors ça durera peut être des mois ou des années, j'en sais rien.
Mais la vie c'est pas qu'un cauchemar.
La vie aussi c'est danser avec des potes tard le soir dans les rues de Paris.
C'est faire des batailles d'eau l'été et gueuler que l'eau est froide.
C'est tomber amoureux, peut-être pour certain réapprendre à aimer. À m'aimer moi, comme avant.
C'est faire des soirées jusqu'à pas d'heures.
C'est regarder les étoiles et apprendre chacune des constellations.
C'est regarder quelqu'un et se dire, putain ce qu'on l'aime,
C'est rire a avoir le souffle coupé
C'est voir de nouvelles choses
C'est se lever tôt pour pouvoir profiter du matin, parce que quand il fait beau le matin c'est cool.
Parce que quand on patiente un peu la vie elle est cool aussi.
Mais je te promet que ça vaut la peine de sécher tes larmes. Un jour ça rentre dans l'ordre.
Un jour tu pourras crier du haut des toits que t'es heureuse.
Tu pourras être heureuse.
Faut juste un peu de temps et le vouloir.
Aime les gens, aime la vie.
Elle t'as rien fait, la mort si, mais elle non. Donc blâme pas notre belle vie pour La Mort.
Et rigole Leith, rigole le plus fort possible pour ne pas t'écrouler encore un peu plus. »

Et c'est ce qu'elle a fait. Elle a explosé de rire, un étrange mélange d'éclats de rire et de pleurs.
Et là, pendant que la lune était la seule personne qui les voyait, elle l'a embrassé.

DEAR FUCKING WORLDWhere stories live. Discover now