Joyeux anniversaire.

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« - Avance, grogne un gars à l'un de ses gosses, en le poussant un peu violemment. Putain mais avance j'te dis ! On va louper l'train !

Il obéit, et une femme que je suppose être sa mère le prend par l'épaule.

- Madame ! Madame ! crie une fille, pas plus âgée de dix-sept ans.

L'intéressée se retourne.
- Est ce qu'on peut discuter ? Juste cinq minutes.
- Je suis pressée.
- Ca ne sera pas long.

Elle la prend à part sous les grognements de son mari.

- J'ai vu, j'étais avec vous au restaurant. Il vous bat n'est-ce pas ?
- Ca ne vous regarde pas.
- Ca regarde toute personne humaine présente dans cette gare. Il vous frappe, merde ! C'est si difficile à comprendre ? Il vous nuit, à vous et vos gosses ! Vous pensez pas qu'il mérite de vivre son anniversaire un peu plus joyeusement ?

Les deux femmes s'éloignent et je ne perçois plus qu'un vague murmure de leur discussion, mêlée à tous les bruits de la gare.

La fille a l'air intelligente. Intéressante à lire. A lire ce qu'elle a vu au restaurant.
Sans plus attendre, j'entame la lecture de sa vie.

Et j'me suis assise à la table du restaurant, avec mes parents.

Y'avait cette famille, à ma gauche, qui ne parlait pas.
Le père avait deux écouteurs plantés dans ses oreilles, la mère mangeait silencieusement, une paire de lunettes de soleil posée sur son nez, et une lèvre inférieure légèrement fendue.
Le plus petit des deux enfants dessinait tandis que le second jouait avec sa bouffe, la moue triste et les yeux un peu trop intéressés par les pointes de sa fourchette.
Tu les aurais vu, les deux, avec leur peau matte et leurs grands yeux bruns.
Le plus grand devait pas avoir plus de dix piges, l'autre six.

J'ai tourné la tête et me suis mise à parler avec mes parents, en rigolant de tout et de rien, avec les deux bouilles adorables des gamins d'à côté toujours bloqués dans un coin d'ma tête.

C'est la musique qui m'a sortie de mon p'tit monde parfait.
Un « joyeux anniversaire » sortant des enceintes du resto.
Des serveurs ont posé un petit gâteau devant l'aîné.
Son frère a entamé la chanson avant d's'interrompre suite au regard noir d'son père.
Le genre de regard qui voulait dire « ferme ta gueule ou j'te défonce comme ta mère ».

Le gosse a soufflé ses dix misérables bougies, mais personne n'a applaudi.
Les clients semblaient soudainement intéressés par la pointe de leurs chaussures, tous plongés dans le même malaise.

Et là, j'ai explosé en sanglots.
Alors que c'était pas à moi de pleurer, tu vois ?
J'ai une vie parfaite, comme ils disent, avec des parents qui s'aiment, une santé stable et des amis.

Mais voir c'te môme qui n'a pas pu fêter son anniversaire joyeusement, ça m'a brisé le cœur.

J'culpabilisais, j'crois. D'avoir une vie si géniale par rapport à la leur.
De m'endormir chaque soir sans gros problème.
J'étais là, cinq minutes avant j'me marrais avec mes parents, pendant qu'ces gosses se tourmentaient l'esprit à cause de ces parents qui s'disputaient et d'ces quelques coups qui volaient un peu trop souvent.

Dix ans putain.
Dix ans tu joues au foot avec tes amis, tu cours partout, tu te préoccupes de bien construire tes lego et tu t'inquiètes de savoir si le chat a assez mangé.

A dix ans les bleus tu les vois sur tes genoux en tombant par terre, non pas sur le visage de ta mère...

Fin

DEAR FUCKING WORLDWhere stories live. Discover now