CXXXVI. Un Rongeur Mal Au Point

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J'achevais ma dissertation lorsque la sonnerie libératrice retentit. Rassemblant mes feuilles, je jetai un regard à Nikolas, qui m'attendait.

Quand Mme Sandor nous le permit, nous pûmes tous sortir de la salle. Ce ne fût qu'à l'extérieur que je me rendis compte -sans grand étonnement- de combien l'atmosphère autour d'elle était étouffante.

Je soupirai. Ce cours de haine n'allait pas me gâcher ma -notre- journée d'anniversaire, bien que seuls Nikolas et moi soient au courant de ce dernier.

***

Qui dit anniversaires dit présents, lançai-je soudain à Nikolas, entre deux ravioles.

Celui-ci haussa un sourcil amusé.

Que veux-tu ?

Je marquai un temps de silence en le toisant malicieusement.

Si je t'affirme que tu es capable de me donner ce que je veux, me l'offriras-tu ?

Ça sentait le piège à mille lieux, il n'allait jamais accepter. A sa place, je n'aurais pas accepté.

Pourtant, il hocha la tête. Posant sa fourchette, il croisa ses mains sous son menton pour m'écouter, ses cheveux ébènes tombant sur son front et son œil gauche.

Je souris, victorieuse.

Retire-moi mon collier.

Je le regardai attentivement pour tenter de déceler la moindre réaction de sa part, mais il n'en eut pas. Il dit seulement :

Approche-toi.

Quel abruti, il acceptait ! N'accordait-il donc pas particulièrement d'importance au fait que je le garde ?

Jetant un regard aux alentours, je vérifiai que personne ne prêtait attention à nous. C'était le cas. De plus, nous étions installés dans un coin un peu plus sombre et en retrait que d'ordinaire.

Je me penchais donc vers lui, sortant sur ma chemise le bijou.

Il baissa son regard sur la pierre sombre.

Avançant sa main, il passa un doigt sur la chaîne torsadée qui la traversait pour entourer mon cou. Cherchant - un peu plus nonchalamment que nécessaire- le mécanisme qui la fermait, il effleura par inadvertance ma peau. A ce contact, nos yeux se croisèrent. Il recula légèrement.

Le fermoir avait glissé près de la pierre. L'avisant, il le saisit.

Je l'observais attentivement. Au moment où il reposa son doigt sur le collier, Nikolas frémit imperceptiblement. C'était étrange.

Mue par une intuition subite, je mis ma main sur la sienne. Elle était froide. Mais sous ses doigts, la pierre était brûlante.

Il captura mon regard de nouveau. Une ombre fugace passa dans son œil, insondable.

Lentement, il retira sa main, sans cesser de me fixer, presque interrogateur. J'étais très étonnée. Tous ces signes -insignifiants pris indépendamment- me faisaient penser, mis bout à bout, qu'il était très troublé par quelque chose, qu'évidemment je ne savais pas.

Peut-être que je me trompais aussi. Et que je faisais des suppositions sur des bases aussi solides que l'humour de Nikolas.

Et moi ? fit-il, mutin, tentant de faire comme si de rien n'était.

Il me dévisageait toujours, mais cette fois avec son masque invisible qui m'empêchait de le comprendre. Cependant, il semblait toujours troublé.

Et moi, répéta-t-il, que vais-je avoir ?

Je n'avais pas d'idée. Je haussai les épaules :

Un... vœu, dis-je en reprenant ma fourchette.

Qu'il aille trouver des idées tout seul.

Nikolas sourit. Je regrettai immédiatement mes paroles. Mais avant que je puisse dire quoi que ce soit pour retirer ma proposition, je perçus un mouvement derrière moi.

Nikolas saisit immédiatement cette occasion de non seulement m'empêcher de me contredire mais aussi de me dissimuler son étrange trouble en la personne de Kathryx.

Aussitôt que la Barn fût assise, il engagea une conversation sur un sujet futile.

C'était la première fois qu'il peinait à garder son masque impassible.

Je l'observais discuter avec notre camarade, dont l'initiale antipathie s'était fortement amenuisée. Au gré des repas, l'attitude agressive de cette dernière s'était effacée, pour laisser place à une fille intelligente et volontaire, qui, bien qu'elle économisât ses mots, ne s'embarrassait pas le moins du monde de les enrober de politesse. Elle était brusque parfois, mais trop de franchise ne faisait pas de mal dans cette école d'hypocrisie. Ses yeux éteints étaient parfois traversés par une lueur fugace, qui me laissait soupçonner un tempérament de feu peu commun dont les reflets fauves se mouvaient sur ses cheveux.

Elle ne nous attendait jamais pour sortir de table, égale à elle-même. Et plus j'apprenais à la connaître, plus j'avais l'impression qu'elle détestait cette école. Aussi, il me semblait que de ne devoir rien à personne et de ne faire confiance à personne étaient ses obsessions.

Quant à Nikolas, il reprenait peu à peu contenance tandis que son personnage s'affirmait. Il regardait calmement Kathryx, avec cet air insondable qu'il affichait la plupart du temps. Agrémenté d'un petit sourire charmeur soigneusement calculé. Si impersonnel, en fait.

Ses mains, seules, trahissaient son émoi encore présent. Raidies autour de la serviette immaculée, ses doigts demeuraient immobiles, tels des serres crispées autour d'un petit rongeur.

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now