CLXXII. Maniaque Non Soigneux

232 28 27
                                    

Le jeune homme hocha la tête et écarta exagérément le bras pour frapper trois petits coups burlesques. Nous attendîmes en silence, tendant l'oreille. Aucune réponse.

Cazimir posa sa main sur la poignée et la tourna. Je fis deux pas en arrière, afin que l'occupant de la chambre ne puisse pas me voir.

Le blond manqua de me heurter lorsqu'il fit volte-face avec l'habilité d'un éléphant (rose). Il cala avec assurance sa main sur le cadre et poussa de son pied le battant de bois qui exprima son mécontentement par un long grincement. Il balaya l'embrasure d'un grand geste du bras.

- Tadaaa ! Y'a personne ma belle, il doit être aux WC.

J'ouvris de grands yeux et lui attrapai aussitôt le bras pour le retenir alors qu'il y partait, il allait provoquer une catastrophe.

- Non merci, je... je vais lui laisser un mot, et j'ajoutai pour faire bonne mesure, il va m'entendre demain. Merci de ton aide.

Cazimir eut un grand rire et, m'envoyant un petit baiser volant du bout des doigts, il s'en alla claudiquant. Il se déroba à ma vue en entrant dans une chambre un peu plus loin où je l'entendis se jeter dans son lit avec un « ouiiiiii » loufoque. Mais sa fantaisie ne m'arracha pas même un sourire.

J'inspirai un grand coup, m'auto-traitai de froussarde et pénétrai dans la petite chambre, dont je refermai la porte derrière moi.

Elle ressemblait beaucoup à la mienne, à la différence qu'elle était parfaitement rangée. L'affreuse couverture marron censée servir de couette alors qu'elle est rugueuse comme pas possible avait été bien lissée et l'oreiller soigneusement glissé dessous ; la brosse à dent et le dentifrice dans un verre au bord de l'évier faisaient face à un savon de manière symétrique. Poursuivant ma visite, je remarquai que le miroir avait été retourné. Un petit sourire aux lèvres, je me dis qu'il n'était pas si coquet que ça. A moins que ce ne soit dû à son œil gauche. Quant à la commode, elle était tout aussi bien arrangée. La serviette, le pot à crayon, un paquet de mouchoirs... c'était un rangement digne d'un élève modèle - ou d'un véritable maniaque. Enfin, mon regard glissa sur une petite corbeille placée au pied dudit placard. Curieuse, je m'approchai pour en voir le contenu. J'y vis les photographies de Daud.

Déchirées.

Le petit sourire qui flottait sur mes lèvres disparut. Et ce fut comme si mon cœur se brisait un peu plus. La gorge nouée, je lâchai les morceaux de photographies dans la poubelle et décidai de partir. Je ne voulais pas qu'il me voit dans sa chambre, comme ça. Il devinerait que j'avais vu les photos et pourrait l'utiliser pour se moquer de moi.

D'un pas rapide, je franchis la distance qui me séparait de la porte. Qu'il ait laissé sa lumière allumée montrait qu'il ne comptait pas s'absenter longtemps.

Mais soudain, mue par une inspiration subite, je suspendis ma main et au lieu de tourner la poignée, j'ouvris l'interrupteur. La lumière s'éteignit. Lentement, je me retournai. Ce que je vis me laissa muette de stupéfaction.

Les murs, le plafond, le sol étaient lézardés de traits lumineux, qui émettaient une faible lueur rappelant celle des serpents d'Electrokinésie. Fascinée, je m'approchai du lit, d'où partaient tous les éclairs. Je soulevai un pan de la couverture, le cœur battant. S'il surgissait à l'improviste maintenant, j'étais mal. Je savais maintenant pourquoi il avait laissé sa lumière allumée : il ne voulait pas qu'un élève ou un professeur de cette école découvre qu'un Télékinésiste avait laissé échapper son électricité !

Connaissant sa prudence, ces éclairs ne devaient pas être bien vieux et son absence devait avoir un lien avec. Ce qui m'étonnait, c'est qu'il n'avait pas fermé sa porte à clef, particulièrement un soir où n'importe qui pouvait entrer dans sa chambre, sans même avec des pensées inquisitrices. Comme Cazimir.

C'était bien du lit qu'il avait jeté ces éclairs, puisque l'endroit où il s'était assis était dépourvu de traits brillants et encadré de deux ombres lumineuses en forme de mains.

Je refis le lit scrupuleusement, allumai la lumière et sortit de la pièce. Je descendis comme un fantôme les escaliers. Au rez-de-chaussée, le couple n'était plus là. Je glissai un regard par une petite fenêtre dont je soulevai le rideau de dentelle : la neige tourbillonnait dans le froid de la nuit.

J'avisai du coin de l'œil les rangées de porte-manteaux. Accrochées à ceux-ci, des capes identiques à celles des filles mais au lieu d'être blanches, celles-ci étaient noires.

Me rappelant de l'état de celle sous laquelle j'avais glissé la bouteille de Cazimir, je ravalai mes remords et en posai une sur mes épaules. Et je m'engouffrai dans l'obscurité glaciale.

Voir les photos déchirées m'avait épargné une deuxième confrontation avec Iui. Nikolas. Les avait-il détruites avec son électricité, ce qui expliquerait la présence des éclairs ? Ce geste ne nécessitait pourtant pas autant de puissance et d'investissement.

J'errai un moment dans le parc, à ressasser des pensées de la couleur de la nuit, mes pieds traînant dans la neige épaisse, laissant des sillons comme des larmes sur le sol.

Magnifique, ridicule.

Deux mots qui dégageaient des émotions si différentes en moi. Deux mots qui décrivaient deux attitudes : la sienne, et celle de Chokola. Deux mots qui n'allaient pas ensembles. Le magnifique devenu ridicule, un je t'aime tourné à la dérision et violemment repoussé.

Car oui, maintenant je le réalisai. Je réalisai qu'il n'avait jamais fait un pas dans ce sens. Il n'avait jamais rien dit ou fait, rien promis. Avais-je réellement gâché une amitié par ma bêtise ?

Ca n'a jamais été de l'amitié.

Selena - Les Lunes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant