CXLIX. Métaphore

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Ayant rejoint la classe pour le retour à l'école, nous n'eûmes plus d'occasion d'être nos « vrais nous » jusqu'au repas, à la fin duquel je tirai littéralement Nikolas à l'extérieur du réfectoire.

Enfin débarrassée de la lourde vapeur de poisson mariné et de l'odeur entêtante de riz au lait, nous nous éloignâmes du bâtiment.

A quelques pas, il y avait un vieux banc dont l'ossature métallique reluisait sous le lampadaire qui l'inondait de sa lumière jaune. Il neigeait de gros flocons et une épaisse couche immaculée s'était déjà déposée sur le banc. De ma main gantée -l'unique, l'autre gant ayant trépassé, je nous fis une place.

Nikolas m'avait suivie jusque là sans trop de résistance, probablement très heureux de pouvoir revêtir son vrai visage et s'assis donc avec nonchalance, égal à lui-même.

Fermant les yeux, il rejeta la tête en arrière en étirant ses bras sur le dossier du banc.

Sentant son bras dans mon dos, je fermai les yeux à mon tour et posai ma tête sur cet oreiller tout trouvé.

L'atmosphère avant Noël a toujours été étrange. Une attente heureuse dans la fébrilité des derniers préparatifs. Le froid. La chaleur des uns et le sourire des autres. Mais ici c'était différent. Tout était différent. A la chaleur et aux sourires se substituaient les regards glacials et l'hypocrisie.

Je n'avais pas encore froid et les flocons fondaient immédiatement au contact de ma peau.

Soudain envahie d'un malaise, ceux qu'on éprouve de manière inexplicable avant un malheur, je rouvris les yeux brusquement.

Les flocons tombaient, tombaient si vite. Loin ils ne paraissaient pas si froids, de près ils étaient si beaux, fractals de verre brillants dans le ciel noir !

Mais quand ils tombèrent dans mes yeux grands ouverts ils les pénétrèrent de leur glace avec une violence insoupçonnée.

Finalement, je préfère ne pas les voir arriver, ces flocons de malheur, pensai-je.

Et je refermai les yeux.

Les minutes s'égrenèrent lentement, comme si un magicien avait retenu de ses doigts le balancier de l'Horloge. Le froid commençait à se faire sentir mais j'étais si bien, à éviter les flocons invisibles avec Nikolas comme appui. Celui-ci n'avait pas prononcé un mot depuis sa dernière bouchée de riz au lait et demeurait totalement immobile, comme étranger aux attaques glaciales de la neige.

Le moment me sembla opportun aux confidences. De sa part évidemment, il dissimulait tant que j'en venais parfois à me demander si ce que je voyais était le secret dissimulé ou la seule part de vérité qui lui restait.

Nikolas, murmurai-je, comme intimidée de troubler le silence quasi religieux qui s'était installé.

Il ne répondit pas mais son bras bougea imperceptiblement comme pour m'engager à poursuivre.

« Le Phénix réveillera une force obscure et destructive », citai-je.

Silence. Sans me laisser démonter, je continuai :

Comme une guerre entre les Lunns bleus et les Lunns rouges, as-tu dit.

Je le devinai se crisper mais conscient que je pouvais m'en apercevoir, il se détendit aussitôt.

Trop tard, grillé. Tout comme le soir où il avait accepté de me dire ces mots que je venais de lui répéter et qu'il était parti en coup de vent après avoir soudainement blêmi à la lecture de je-ne-sais-quoi dans le livre vert... qu'il avait emporté au passage bien évidemment.

Qu'est cette force destructive ? La guerre ne serait que la destruction, la conséquence, pas la force.

Je sentis que Nikolas relevait la tête. J'entrouvris les paupières et vis qu'il s'était penché vers moi et me regardait. Ses deux yeux noirs me fixaient et me sondaient, indéchiffrables, à peine cachés par des boucles ébènes parsemées de flocons.

Et puis il me sembla qu'il abandonnait. Pour la seconde fois de la journée. Ses épaules se s'affaissèrent légèrement et son bras sous mon cou se détendit.

Son regard était si profond que j'avais l'impression qu'il cherchait ses mots dans mes yeux. Et puis il parla :

Au lieu d'être quelque chose, ce pourrait être quelqu'un.

Et aussitôt, il détourna les yeux et se replongea dans son mutisme.

Ses paroles me semblèrent être comme une chape de glace qui me tombait dessus soudainement. Une personne. Quelqu'un qui supprimerait, qui voudrait détruire, qui avait peut-être déjà de fait anéanti des vies, des gens.

Un énième flocon agressant mon œil me décida à lever la tête. Frottant mes yeux aveuglés par la glace, je tentai de retrouver une vision normale.

Nikolas calmement, le regard dans le vide, avait cet air insondable qu'il affichait la plupart du temps. Si impersonnel, en fait. Insensible aux agressions du froid qui se faisaient de plus en plus violentes – le temps s'obscurcissant – il serait resté tel quel un long moment si je n'avais pas tapoté son épaule.

Un court instant, il me jeta un regard égaré, un regard d'enfant perdu, qui me bouleversa si profondément que je restai, là, la main suspendue au-dessus de son épaule, incapable de me détacher de ces yeux dans lesquels j'avais perçu une telle détresse.

J'avais besoin de réponses. Sur la Tuar. Sur le collier. Sur moi. Sur lui.

Sur nous.

***

[ NdA : Il y a une métaphore filée -d'où le nom du chapitre me direz-vous- dans ce chapitre, l'avez-vous trouvée et si oui, parvenez vous à en tirer le sens prémonitoire ? (Je prends de l'avance sur la relecture/correction!)

Un immense merci pour tous vos commentaires et avis, j'espère que la suite vous plaira autant (voire plus, soyons fous !)

Vous pouvez mettre vos hypothèses concernant l'histoire en commentaire

ICI

J'ai déjà un doc Word où j'ai compilé les hypothèses de certains lecteurs que je ressortirai anonymisées sur un chapitre bonus, qu'on se marre XD

(oui oui, j'espère vraiment que vous ne percerez pas mes intrigues à jour *rire maléfique* jusqu'aux révélations)

(honnêtement je croise les doigts car il y en a certains qui sont (trop) perspicaces)]

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now