CXVII. Efflam

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Ses longs cils noirs battirent lentement avant qu'elle entrouvre ses lèvres rouge sang pour ordonner d'une voix douce comme une caresse :

Efflam, devant la classe je vous prie.

Debout derrière son bureau, elle se pencha pour tirer un tiroir, d'où elle sorti un étrange objet long, qu'elle déplia.

C'était une espèce de canne, mais sans le bout recourbé, qui était remplacé des deux côtés par une pointe effilée.

Cela commençait à devenir inquiétant. Nikolas, à côté de moi, ne quittait pas des yeux notre professeure et son... arme.

L'élève appelé sortit des rangs et se plaça devant le bureau, de profil. Blême, maigre à en faire peur, ses cheveux tombaient comme des ficelles jaunes sur ses étroites épaules, qui tremblaient tant qu'elles le pouvaient.

Mme Sandor, les yeux brillants, s'avança en face de lui, à notre droite. Elle lui tendit sans une parole la « pointe-canne ».

Efflam tendit une main osseuse et la saisit. Ses jointures blanchirent tant il la sera fort. Ses yeux, qu'il avait gardés baissés jusque là se levèrent, une lueur de défi dans le regard.

Cet échange silencieux me donnait l'impression que ce n'était pas la première fois. Qu'il avait déjà vécu ce qui allait se passer. Et je craignais le pire.

Un frisson désagréable me parcourut le dos.

J'avais un très mauvais pressentiment. L'ambiance ici était bizarre. Une sorte d'animosité à peine voilée flottait dans l'air. Une hâte sadique de...

Redressant l'échine, Efflam regarda droit dans les yeux Mme Sandor, qui sourit d'un air méprisant devant cette pâle marque de courage.

Il posa d'un bras à peine vacillant le bâton par terre sans la lâcher des yeux.

Sa paume sur la pique, le duel de regard débuta, et s'intensifia. Encore et encore.

Une impression de déjà-vu... : un duel d'esprit. Entre une professeure terrifiante et un élève qui peinait à tenir debout. Un combat de toute égalité finalement.

J'avais finalement réussi à mettre un mot sur l'état d'esprit de mes camarades : ils étaient comme aux jeux du cirque, guettant, savourant, chérissant, chaque coup, chaque cri, chaque larme, chaque mort.

Efflam chancela légèrement. Sa main crispée sur la pointe, il s'appuya sur cette dernière. Il se mordit la lèvre pour étouffer la douleur du dard effilé sur sa peau.

Toute lueur de défi dans son regard avait disparu. Ne restait que l'amertume du désespoir.

Mme Sandor renforça son attaque mentale. Je ne sais pas ce qu'elle lui infligeait exactement, de quelle violence c'était, mais des larmes coulèrent sur les joues du jeune homme.

Tétanisé, une détresse infinie se lisait dans ses yeux, son dos ployé et ses bras raides.

Mes poings se serrèrent. Mon cœur battait la chamade. Il fallait que je fasse quelque chose. Cette cruauté sans égal dont faisait preuve Mme Sandor me révoltait de la tête aux pieds.

J'avais envie de hurler tant la situation était monstrueuse d'inhumanité.

Ah oui c'est vrai, elle n'est pas humaine.

Et pourtant, je ne devais pas intervenir, je ne pouvais pas. Que pourrais-je contre une Stamfar ?

A ma gauche, Nikolas n'était pas à l'aise non plus. Le regard dur, il regardait la scène sans un mouvement.

Un hoquètement de surprise d'un élève dans la classe me fit tourner la tête vers Efflam.

La main de ce dernier était en sang. La pique de sa « canne » avait percé l'intérieur de sa paume, et le liquide rouge qui coulait le long du pieu formait une petite flaque grandissante à ses pieds.

C'en était trop.

Je serrai les dents à m'en casser la mâchoire. Mes ongles me coupaient la peau tant je serrais fort mes poings.

Je me rapprochai de Nikolas, plaquant mon épaule contre la sienne, et essayant de ne penser plus qu'à cette dernière. Il me sembla qu'il répondit à mon geste par une légère pression dans ma direction.

***

Les mains tremblantes, je regardai Efflam sortir de la pièce. Ce dernier était blafard, le regard hagard et vide de vie. Comme si elle lui avait aspiré son esprit.

Quelqu'un avait grossièrement essuyé le sol de son sang.

Le cours reprit. Il ne s'était rien passé. Un élève n'avait pas été torturé. Sous les yeux de ses camarades. Par son professeur. Mais non.

Je risquai un coup d'œil circulaire autour de moi. La plupart était en train de sortir leurs affaires, l'air de rien.

Je me rendis compte que j'avais agrippé la main de Nikolas et la serrai de toute mes forces. Je dépliai mes doigts frémissant d'Energie télékinésiste retenue. Un crépitement et une légère décharge en le faisant m'indiqua que je n'avais pas été la seule à me contenir.

Ce qui s'était passé aujourd'hui ne s'effacera jamais de ma mémoire. Jamais je n'oublierai son sourire méprisant, ses lèvres rouge sang si cruelles sa voix douce si monstrueuse mais surtout, ses yeux de prédateur quand Efflam avait fini par s'écrouler par terre, inconscient. Jamais.

Mais le pire dans tout cela était l'indifférence. La gangrène de cette école était l'indifférence, l'insensibilité de ses élèves.

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now