CXCIII. Lune, Lunn, L'Une ?

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La lune était ronde cette nuit. Elle coulait ses rayons laiteux par la fenêtre dont le rideau de fortune s'était décroché. La petite pièce était baignée d'une lueur irréelle, accompagnant une insomnie particulièrement tenace ce soir.

J'étais allongée depuis quelques heures maintenant, sans parvenir à trouver le sommeil. Je somnolais tout au plus. A chaque fois que j'étais sur le point de m'endormir, mes pensées ou cette lumière inhabituelle me réveillaient. Je fermais les yeux et restais dans cet étrange entre-deux qu'est le passage vers le sommeil, où la réalité s'effiloche doucement pour laisser place aux rêves. Sous mes paupières, je percevais encore la pâle lueur de la lune, veilleuse diffuse.

Le vent soufflait violemment dehors, comme en témoignaient les multiples plaintes crissantes des combles. Tintamarre ouaté, berceuse de Norvège qui me maintenait hors de la nuit et m'empêchait de plonger tout à fait dans un sommeil désiré.

Une ombre passa furtivement devant ma fenêtre. A demi endormie, je souris intérieurement : quel oiseau, celui qui avait osé s'aventurer dans les bourrasques de cette nuit-là !

Le bruit plus clair du vent et un froid soudain fit s'évanouir en moi tout amusement. Quelqu'un était en train de s'introduire dans ma chambre par la fenêtre. Le cœur battant, je gardai les yeux clos et restai immobile, feignant un sommeil profond, tendant l'oreille et lâchant ma perception télékinésiste en une aura autour de moi pour épier l'inconnu.

Un craquement du plancher près de la porte me parvint, presqu'en même temps que je percevais télékinésistement un mouvement vers la commode, juste à gauche de ladite porte. L'intru était très agile : il avait sauté depuis la fenêtre au-dessus de mon lit et je peinais à deviner ses déplacements, malgré l'entièreté de mes sens en alerte. C'était forcément un Lunn. Rouge ? Bleu ? Tant de gens pouvaient me vouloir du mal dans cette école et au-delà. Était-il un des sbires de Perseus ? Ou bien un tout nouvel ennemi jusque-là tapis dans l'ombre ?

La peur commença à monter en moi, et je redoublai d'attention, tendant mes muscles, prête à toute éventualité.

Le silence planait et je ne le ou la percevais plus. Je décidai de bouger subtilement mes jambes, comme quelqu'un pourrait le faire dans son sommeil. Je décalai légèrement ma jambe gauche vers l'extérieur de la couverture. Mon cœur rata un battement. L'individu se trouvait tout près de mon lit, debout.

Je fis preuve d'un effort surhumain – littéralement, puisque je m'aidai de la télékinésie – pour maintenir ma respiration qui s'affolait à un rythme crédible. Si cette personne était Lunn Bleu, elle était capable de deviner mes battements de cœur à l'aide de la télékinésie. L'inconnu se pencha sur moi. J'étais prête à attaquer. Je décomptai trois secondes. Trois. Deux. Un.

Santal. Cèdre.

Mon angoisse se mua en un instant en une confusion indescriptible.

Des lèvres se posèrent sur les miennes. Chaudes et hésitantes. Presque coupables de cette tendresse inopinée.

La terre s'arrêta de tourner. Le temps suspendit son court. Ne demeurait que son souffle, à quelques centimètres de mon visage. Je restais immobile, plus figée qu'un mort, partagée entre un bonheur irréel et l'incompréhension la plus totale.

Quelque chose de chaud et de mouillé tomba sur ma joue. Il pleurait.

J'entendis presque mon cœur se fendre en écho. Non, ce n'était pas mon cœur, quelque chose sur ma poitrine venait réellement de se briser. Mon collier, dont je me rendais maintenant compte de la chaleur torride, s'était craquelé bruyamment.

Ce bruit avait attiré son attention aussi car je sentis ses doigts glacés effleurer ma clavicule lorsqu'il ôta la pierre brûlante de ma peau. Un second craquement se fit entendre, plus franc que le premier.

C'est alors que quelque chose, une force qui ne m'appartenait pas, sortit de moi. Antique, mystérieuse. Le même sentiment qui m'avait traversé à la Ghealach Scartha. Je n'avais pas mal. Étrangement, bien que j'eusse toujours les yeux résolument clos, il me semblait enfin voir correctement. Non pas pour discerner le visage beau et grave de Nikolas, mais pour avoir une conscience étonnement large du monde surnaturel qui m'entourait. Comme si un sixième sens avait poussé, là, tout à coup ; sans pour autant que j'arrive à mettre des mots sur ce qui m'arrivait. Je me sentais entièrement , présente, un sentiment très particulier à décrire.

Puis tout se précipita.

Avant que je puisse faire le moindre geste ou seulement ouvrir les yeux, Nikolas reposa la pierre sur mon cou, ouvrit la fenêtre et dans le même mouvement, sauta au-dehors aérotélékinésistement, rabattant le vasistas sur les quelques flocons de neige qui avaient eu le temps de se faufiler.

J'ouvris les yeux et bondis hors de mon lit mais il avait déjà disparu des toits dans la nuit enneigée.

J'étouffai un cri de frustration.

Il était parti comme il était venu. Enfui. Tel un voleur.

Je m'étais levée trop vite et la tête me tournait quelque peu. Aussi je m'asseyais, pour tenter de reprendre un souffle normal.

L'adrénaline faisait battre mon cœur à toute vitesse et mon cerveau me criait de le poursuivre à travers la tempête de neige. Mais mon corps ne répondait tout simplement pas présent. C'était bien le moment ! La respiration lourde, je dû même m'allonger, car ça ne s'améliorait pas.

Mon esprit était au moins aussi troublé que mon corps. Les pensées courraient dans ma tête dans tous les sens, cognant contre les parois de mon crâne, se bousculant n'importe comment pour parvenir à ma conscience.

Son baiser avait un goût amer d'adieu.

Mais à peine m'étais-je fait cette réflexion – la seule censée que j'avais pu produire dans cet état barbouillé – que l'étrange torpeur qui avait saisi mon corps m'envahit tout à fait. Un voile se posa sur mon esprit, embrouillant toutes ces pensées anarchiques... et m'emporta dans un sommeil sans rêve.

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[Merci beaucoup Sanobryme pour ton magnifique dessin !]

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now