CLXX. Noyade Dans Du Violet

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La Salle de Bal avait perdu toutes ses couleurs, tout son éclat. Le feu n'avait plus rien de chaleureux et mordait férocement le tronc d'arbre qui avait été jeté dans la cheminée. L'ombre gigantesque du sapin se déplaçait sournoisement sur le sol, au gré de la flamme tremblotante des bougies, comme prête à noyer la pièce de ses ténèbres. Quant aux violonistes, altiste et violoncelliste, ils faisaient grincer leurs instruments sur un prélude à la Valse et la musique résonnait sourdement dans la salle.

Sur le pas de la petite porte, juste derrière la colonne, j'étais pétrifiée, comme victime d'un sortilège. Les élèves s'affairant pour trouver un partenaire se mouvaient d'une manière menaçante, fuyant mon regard quand j'essayais de fixer une silhouette.

Enfin, l'une d'entre elles accrocha mon regard. Elle était verte, émeraude et marchait dans ma direction.

Kafée ?

Elle avait une voix familière.

Une main se posa sur mon épaule et me secoua légèrement. Ce fut comme si je respirai à nouveau après l'asphyxie. Je regardai d'un air égaré mon interlocutrice. Des courts cheveux, un air volontaire et deux yeux marrons interrogatifs, Kathryx.

Cela fait cinq minutes que tu es là, immobile.

Elle s'était inquiétée pour moi. Je clignai des yeux, reprenant complètement contact avec la réalité.

Oui, fis-je d'une voix rauque, énonçant lamentablement une évidence.

Chokola doit te chercher, continua-t-elle. La Valse va bientôt débuter.

A ce prénom, je me rendis soudain compte que ni Nikolas, ni moi ne pouvions échapper à la Valse d'entrée. Tous les élèves devaient la danser, car c'était la première et surtout, comme Mme Desmond adorait le répéter, le directeur serait là.

Alors qu'elle tournait les talons pour aller rejoindre son cavalier, que je reconnus comme étant la grande perche avec qui j'avais dansé le matin-même, une idée me vint.

Je rattrapai Kathryx et lui demandai d'échanger nos cavaliers. Elle se retourna, prête à refuser mais croisa mon regard. Il semblerait qu'elle y lu quelque chose puisqu'elle ferma aussitôt la bouche et acquiesça. Elle toucha deux mots à la perche dont je découvris le nom, Xyme, et s'enfonça dans la foule, à la recherche de son nouveau partenaire de danse.

Celui-ci, vraisemblablement timide, eut un petit sourire et m'invita d'un signe maladroit à danser. De nouveau, une petite cloche fut sonnée et la Première Valse commença.

Mes pas calés sur ceux de mon partenaire, très bon danseur pour qui les lustres n'étaient plus une contrainte, je parcourais du regard la salle, afin d'étouffer mes pensées.

Les tables du souper avaient été enlevées et à la place, d'autres longues tables avaient été disposées, sans chaise. Dessus, sur une nappe de la couleur de la neige, de grands plats de cristal débordaient de confiseries de Noël, de larges vaisselles transparentes présentaient des fruits exotiques, des bassines en verre remplies de glaçons en abondance tenaient au froid des bouteilles de grand cru et un peu partout, des verres à alcool contenant des cocktails variés étaient alignés sur des plateaux.

Je tentais d'apercevoir le directeur, trop vieux pour danser, qui devait se trouver pas loin des dites tables. C'est alors que je vis un homme, d'un âge très respectable, portant une longue barbe plus blanche que grise surplombée par une paire de sourcils fournis qui donnait au visage un air sérieux : c'était le directeur. Il portait un queue de pie noir sur une chemise en flanelle rouge rubis, et griffé sur son costume, la roue dentée à cinq pointes dorées, le blason de l'école. Il discutait avec une dame que je ne voyais que de dos. Celle-ci, magnifique, était vêtue d'une longue robe cintrée et découverte dans le dos, d'une couleur qui oscillait de manière hypnotique entre le jaune, l'or et l'orange et avait, coiffée en un chignon élaboré une chevelure noire de jais. La femme, se décalant au passage d'un couple, me dévoila son visage, il s'agissait de Mme Sandor, plus belle que jamais. Elle était apparemment proche du directeur.

Nous tournâmes et dansâmes pendant un petit moment encore puis la Première Valse s'acheva et il y eut une sorte de pause générale où tout le monde alla se rafraîchir et reprendre des forces. Comme chacun, je me dirigeai vers les tables de cocktail sans grande conviction, n'ayant aucun appétit et pas grand soif.

Un petit attroupement à quelques mètres de moi attira mon attention. Bien que pas naturellement curieuse pour les choses mondaines, je pris cette opportunité comme une occasion de m'occuper les idées. J'y vis presque sans surprise une Sandor junior entourée de sa cour – particulièrement importante ce soir – qui distribuait à la pelle sourire et regards dédaigneux, et parfois même les deux en même temps. J'eus un petit pincement au cœur en remarquant que sa robe, bien évidemment splendide et qu'elle portait avec une grâce inégalée était d'un violet profond, en tout point semblable à celui d'une certaine cravate. Elle avait même réussi le pari risqué de marier violet et jaune avec une parure dorée qu'elle portait si bien qu'on avait l'impression que c'était elle qui mettait en valeur le bijoux, dont la matière rappelait les Tenårings. Une flûte de champagne à la main, elle entretenait sa cour de son charme et de son charisme ensorcelant.

La soirée, qui aurait dû être merveilleuse, fila comme un rêve et malgré mon peu d'atomes crochus pour la danse, j'acceptai chaque demande de danse, essayant d'échapper aux ténèbres qui voulaient me submerger au premier instant d'inattention. J'entendais en boucle le « ridicule » soufflé, jeté comme une insulte et le mot me martelait la tête à chaque fois qu'une ombre, un éclat de voix ou un sourire me rappelait celui qui l'avait prononcé avec tant de cruauté. 

Selena - Les Lunes JumellesWhere stories live. Discover now