1 : Une sale journée, un Cosmo et un café

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J'écoutais distraitement Paul, un mec qui venait de m'offrir un Cosmopolitan, tout en reluquant la serveuse derrière le bar. Elle avait un long tatouage sur le bras et je me torturais l'esprit depuis trois bonnes minutes pour savoir ce qu'il représentait.

- Et toi ?

J'ai presque sursauté et suis revenue à Paul. Il a passé une main dans ses cheveux.

- Moi ? ai-je marmonné.

- Oui, qu'est-ce que fait une si jolie fille dans ce bar, toute seule ?

J'ai haussé les épaules. Je ne savais même plus pourquoi j'étais là, à vrai dire.

Paul a hoché la tête, le regard pointé vers mon décolleté. Il était vraiment trop lourd, snob et ennuyeux, il fallait que j'en finisse avec lui.

- Dis-moi, Paul, tu t'es déjà envoyé en l'air dans une arrière-salle ?

Il a eu l'air agréablement surpris et a vite arboré un sourire malsain sur son visage. Ça ne m'a même pas étonnée.

- Non, mais j'aimerais bien essayer...

- Super. Alors vas-y, je t'y retrouve dans cinq minutes, le temps que j'aille aux toilettes pour...

J'ai attrapé avec ma bouche la paille qui tournoyait dans mon verre et ai aspiré le cocktail avec un air faussement séducteur. Il s'est levé de son tabouret, m'a susurré à l'oreille quelque chose que je n'ai pas compris et a disparu derrière le rideau de perles qui séparait le bar à l'arrière-salle. J'ai poussé un long soupir de soulagement, ai bu quelques gorgées du Cosmopolitan et me suis levée à mon tour.

- S'il vous plait, ai-je appelé le serveur au bar. Vous mettrez ce verre sur le compte de mon ami.

Puis je suis sortie du bar, et la douceur de la nuit d'été m'a presque fait oublier Paul et tout le reste.

Je venais d'avoir une horrible journée, et j'avais attendu la soirée avec impatience pour me bourrer la gueule dans mon bar préféré et rentrer chez moi illico presto. Au lieu de ça, j'avais décidé de faire le tour des bars de la ville, seule, avec en tout et pour tout vingt euros en liquide sur moi. Ce choix de tournure de soirée m'était venue à l'esprit après avoir lu, accrochée à la porte de mon antre de la cuite, une feuille où il était marqué "Fermé occasionnellement pour cause de naissance" au marqueur vert. Je m'étais retrouvée à haïr un être tout juste arrivé sur Terre, et j'avais pensé que flirter ce soir aller me changer les idées, surtout si je pouvais avoir quelques verres gratuits.

Je venais donc de sortir de mon quatrième bar, et j'avais bu deux bières, deux cocktails et deux shots - offerts par le serveur du deuxième bar quand il m'avait vu remballer le lourdeau que je m'étais coltinée pendant une demie-heure à son bar. Il était une heure du matin, j'ai pensé qu'il serait plus raisonnable de rentrer chez moi au lieu de continuer le massacre. Je marchais dans la rue, comblée de terrasses remplies à craquer et de personnes saoules. Je suis passée devant une boîte de nuit, où un groupe d'ados s'apprêtait à entrer. Ou du moins, tenter : composé à soixante-quinze pour cent de gars, plus une des deux filles en jean et sweat, ils n'allaient pas rentrer, c'était clair. Et comme je m'ennuyais et je n'avais que ça à faire, je leur en ai fait la remarque.

En réalité, je m'attendais à ce qu'ils m'envoient tous chier et à ce que la fille en sweat m'envoie un coup de poing dans la figure, à la manière dont elle m'a assassinée du regard quand j'ai commenté sa tenue. Mais contre toute attente, un garçon du groupe m'a proposé de les rejoindre, juste pour rentrer, pour équilibrer le sex-ratio. Et croyez-le ou non, nous sommes tous rentrés. Je me suis alors retrouvée au bar de la boîte, et en moins de deux minutes, un mec est venu me proposer un verre. En moins de trente, on a baisé dans les toilettes (il était très convaincant et je commençais à avoir la tête qui tournait ; puis il s'avérait être un très bon coup), et après ça, j'ai passé le reste de la nuit à danser avec des inconnus, à boire encore plus et à embrasser des gens qui me paraissaient sur le coup plutôt attirants. J'ai accepté de raccompagner une fille qui était en train de pleurer chez elle et qui habitait "pas très loin" et deux kilomètres plus tard, je suis entrée avec elle dans un McDo de périphérie - « ouvert 24/7 » - à cinq heures du matin. J'ai commandé un cheeseburger et un café, la fille une glace. Je la regardais manger sa glace et renifler en soufflant sur mon café quand le serveur est arrivé avec trois gobelets de café. Je l'ai interrogé du regard.

- Je vous en offre un, vous faites vraiment trop pitié, nous a-t-il dit en nous tendant deux gobelets.

- Sympa, ai-je raillé.

Il a porté le troisième gobelet à ses lèvres et a bu quelques gorgées avant de continuer son analyse :

- Sérieusement, j'en ai vu des trucs ici, mais vous, vous êtes exceptionnelles.

- Merci, a murmuré la fille.

- Vous devez faire partie de ces étudiantes qui croquent la vie à pleines dents avant de tomber dans la routine monotone que vous redoutez plus que le résultat d'un test de grossesse après un rapport entre deux caisses de voitures.

- J'ai vingt-quatre ans, déjà, ai-je répliqué.

- Dix-sept, a dit la fille.

- Alors ça fait bien longtemps que je suis plus étudiante, monsieur le puceau, ai-je continué.

- Très fin. Waw, cette insulte digne d'un collégien pré-pubère m'atteint et me touche telle une balle en plein cœur, s'est-il faussement plaint en portant une main à sa poitrine.

- C'est quoi ton problème ?

- Vous êtes mes deux seules clientes et vous me faites marrer.

J'ai arqué un sourcil. Il a montré du regard la fille, qui avait un moment d'absence phénoménal, les yeux rouges et louchants sur son café.

- Ta copine a l'air d'être passée sous un camion, et toi tu parles super fort comme si vous étiez une cinquantaine.

- C'est pas ma copine.

- Je parie que vous sortez de boîte.

- En même temps, que veux-tu qu'on fasse ici à cinq heures du matin ?

- Un petit-dej' avant un footing en robe moulante ?

Je n'ai pas pu m'empêcher de rire, mon rire hoquet/expiration digne d'un dernier souffle de vieille personne, qui ne sortait que quand quelque chose était vraiment marrant à mes yeux - soit quand j'avais quelques verres dans le nez.

- Ce n'est pas drôle, ai-je ajouté.

- Tu as rigolé.

- Parce que tu appelais ça un rire ?

- Ouais, un rire répugnant autant que mignon, mais un vrai rire spontané quand même.

Je l'ai fixé pendant quelques secondes. Il se contentait de me sourire, pas le sourire de Paul ou de l'autre type de la boîte. Un sourire plutôt mystérieux qui le rendait mystérieusement attirant.

Pourtant, je n'arrivais pas à dire si oui ou non il était mignon. J'avais toujours un bloquage avec les hommes à lunettes.

- Je m'appelle Nathan.

Et pour la deuxième fois en moins d'une minute, ce mec m'a surpris. Nathan. Je l'ai regardé encore quelques instants, puis ai mordu dans mon cheeseburger.

- Alice.

L'amour selon AliceTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang