24 : Un brunch, Vincent et des excuses

2.3K 325 130
                                    

J'étais en train d'assister à l'un des débats les plus captivants de ma vie. D'un côté, Eliott affirmait que sucer, ça ne faisait que partie des préliminaires. De l'autre, Etienne soutenait que ça faisait partie intégrante de l'acte en lui-même. Je les écoutais, attentive, buvant à chaque exclamation une gorgée de mimosa. Nous étions tous les trois assis à une table à la terrasse de l'Intrépide, au soleil. Le dimanche, il n'y avait que les habitués qui venaient. Le gérant, quand il m'avait vue arriver avec mon frère, m'avait accordé un sourire chaleureux. Je faisais en effet partie de ces privilégiés à qui on offrait le café à la fin du repas et à qui on demandait des nouvelles. Il me suffisait de dire « comme d'habitude » et un serveur me ramener un saumon poché.

Ce jour-là, avec mon frère et son copain, on brunchait.

- Alice, tu en penses quoi, toi ? m'a demandé Eliott.

J'ai levé les mains au ciel.

- Je ne me mêle pas de vos embrouilles de couple, je suis là juste pour le mimosa.

Etienne a éclaté de rire. Ce que j'avais appris de lui en une journée et demie ne se résumait qu'à trois choses : il aimait rire exagérément, le vin blanc sec et mon frère. Et ça me suffisait amplement.

- Merde, a chuchoté Eliott, le regard soudainement attiré par un point derrière moi.

J'ai froncé les sourcils, et me suis retournée vers ce qui avait attiré son attention. Nathan marchait dans la rue, son téléphone collé à l'oreille, un café dans l'autre main, sourire aux lèvres et pas lents. Je n'ai pas pu détacher mon regard, et le temps s'était presque arrêté. Il portait un bermuda beige, un t-shirt blanc et des baskets aux pieds. Ses cheveux châtains, que je croyais indomptables, étaient ramenés en un chignon serré au-dessus de son crâne, et ses lunettes de soleil cachaient ses magnifiques yeux clairs. Il avait sa montre et deux bracelets en cuir autour de son poignet gauche, et on voyait son porte-feuilles dépasser légèrement de la poche arrière de son bermuda.

Je l'observais de loin, il paraissait intouchable, irrésistiblement ordinaire et extraordinaire à la fois, son charme irradiait de lui tel les rayons du soleil et jamais je ne l'avais trouvé aussi beau qu'à cet instant précis, alors que je savais éperdument que jamais je ne pourrais à nouveau l'approcher.

- Alice ?

Je me suis tournée vers Eliott, qui me souriait tristement.

- Vas lui parler.

- Non, ai-je dit en secouant la tête. Je ne peux pas, il va me remballer, et me fuir, et je me sentirais encore plus mal que je ne le suis déjà.

- Ou alors, il te tombera dans les bras et te déclarera sa flamme, est intervenu Etienne.

Nouvelle raison d'apprécier le copain de mon frère : infernalement (oui, vous avez bien lu) positif, il pourrait bien s'entendre avec Gretchen et me servir d'intermédiaire entre Eliott et ma meilleure amie pour qu'ils finissent par s'entendre.

- Tu n'as rien à perdre, Alice, a renchéri Eliott. Je suis là, et avec Etienne, on ramassera les morceaux s'il le faut.

J'ai esquissé un sourire. Puis je me suis penchée au-dessus de la table, ai déposé un baiser sur le front de mon frère, tapé mon poing contre celui d'Etienne, pris mon courage à deux mains et essayé de rejoindre Nathan. Essayé.

Il a traversé la place, toujours au téléphone. Il entretenait une conversation animée, il parlait fort et quelques bribes de sa conversation avec son interlocuteur me parvenaient. Aux expressions qu'il employait et au naturel dont il riait, ce devait être quelqu'un de proche. Un ami ? Peut-être l'un de ses deux frères ? Je ne l'ai jamais su, car il s'est arrêté pour s'asseoir sur le rebord de la fontaine, gênant au passage un touriste qui la photographiait sous tous les angles. Fatalement, il a du se retourner, et m'a vue, en train de le suivre à une distance raisonnable de dix mètres, les mains agrippant les lanières de mon sac comme si ma vie en dépendait. Il a mis fin à son appel quelques secondes plus tard, puis est resté là, immobile. Il n'avait pas l'air de vouloir fuir. Je me suis avancée de quelques pas, et en constatant qu'il ne bougeait toujours pas, je l'ai rejoint et me suis assise à côté de lui, mais à une distance relativement éloignée pour que les gens comprennent que nous n'étions que de simples connaissances - car c'était ce que nous étions devenus, de manière fatidique. Je regardais devant moi, de peur de croiser son regard, pourtant caché derrière ses lunettes.

L'amour selon AliceWo Geschichten leben. Entdecke jetzt