Chapitre Seize

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Dans un grincement strident, le tramway dérapa le long des rails dans l'effort presque visible du chauffeur pour l'arrêter, toujours sans succès. Amia ferma les yeux, se préparant au pire et à la terrible douleur qu'elle ne manquerait pas de ressentir lorsque le petit train la heurterait de plein fouet. Vu la vitesse à laquelle il roulait, elle n'en réchapperait pas. Peut-être mourrait-elle même sur le coup. Finalement, à côté des souffrances infinies qu'elle pourrait ressentir aux mains des Ténébreux ou du CRU, ça pourrait bien être une belle mort tout compte fait.

Elle en était arrivée à cette conclusion en une fraction de seconde, et un brouillard serein envahissait son esprit à mesure qu'elle prenait conscience d'à quel point l'instant de sa mort était proche. Elle allait mourir ; et alors ? Si c'était son destin, à quoi bon se battre pour survivre ? Elle disparaîtrait peut-être, mais quelqu'un d'autre naîtrait ailleurs, quelque part, la remplaçant sur cette Terre hostile et cruelle.

Visiblement, tout le monde n'était pas d'accord avec elle, car elle entendit Aristote crier un vague "Non !" alors que le sifflement du tramway était plus proche que jamais. Et, tout à coup, tout s'apaisa. Un silence presque total s'abattit sur la grande place de la ville, à la fois rassurant et terrifiant. Soit la foule entière avait vu ce qu'il était sur le point de se passer, soit elle ne se trouvait plus sur la place, mais ailleurs, au royaume des morts peut-être.

Prudemment, elle ouvrit les yeux... et frôla un arrêt cardiaque prématuré dût à la stupeur qu'elle ressentit à la vue de l'étrange scène qui se déroulait sous ses yeux. Le tramway se trouvait à moins d'un mètre d'elle, immobile. Ses roues tournaient encore, mais il semblait à Amia qu'elles tournaient dans le vide. En tout cas, il n'avançait plus, c'était certain. Même le chauffeur à l'intérieur de la cabine du petit train était figé dans une posture de pure terreur tandis qu'il essayait de sauver trois enfants d'une mort aussi affreuse que stupide et inutile. Les militaires, ainsi que Noiraud, semblaient avoir été paralysés en pleine course. Même la foule qui partait dans toutes les directions un instant plus tôt se tenait sagement immobile, incapable de faire un geste.

Comme si quelque chose, ou quelqu'un, avait arrêté le temps.

-Eh ben, ça alors ! entendit-elle Jackson murmurer quelque part derrière elle.

Lui aussi était encore maître de ses mouvements, et regardait autour de lui d'un air ahuri. Quant à Aristote... Amia fronça les sourcils, soudain perplexe. C'était vrai, ça : où était passé Aristote ?

-Écartez-vous de là ! cria brusquement le petit sang-mêlé surgi de nulle part en saisissant par le bras et, ce faisant, les tirant, Jackson et elle, hors de la trajectoire du tramway. 

Celui-ci reprit aussitôt sa route dans un grincement d'enfer comme s'il ne s'était jamais arrêté, et le brouhaha des foules, assourdissant à côté du silence qui régnait un instant plus tôt, retentit à nouveau autour d'eux. Complètement sous le choc, Amia tentait de décrypter la situation et de comprendre ce qui venait de leur arriver, à ces amis et à elle, lorsque Aristote la ramena brutalement à la réalité :

-Amia, Jackson ! Il faut y aller, maintenant ! Vite ! 

Les deux jeunes Elementalistes reprirent rapidement leurs esprits et détalèrent à la suite du petit chronokinésiste - d'ailleurs, c'était sans doute à lui qu'ils devaient d'être encore en vie, puisqu'il était capable de manipuler le temps et l'avait sans doute figé pour les sortir d'affaire - tandis que le tramway achevait son passage et que les militaires au service du CRU, visiblement furieux d'avoir été ainsi ralentis, s'élançaient à nouveau à leur poursuite sans toutefois oser sortir leurs armes pour tirer dans le tas, car alors ils auraient risqué de blesser ou de tuer une personne innocente. Profitant de la confusion, Noiraud avait disparu, et Amia avait beau fouiller la place entière du regard, elle ne vit aucune trace du passage du rusé Ténébreux. Cela la rendit nerveuse, pour autant, elle ne le remarqua pas aux autres ; ils avaient assez d'ennuis comme cela.

AMIA WHITE - 1. La ChronosphèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant