Épilogue

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Noiraud attendit que tous les Elementalistes aient désertés les lieux avant de sortir de l'ombre. Non sans jeter un dernier regard derrière lui en direction de la sortie pour être sûr que personne ne l'espionnait, il se faufila entre les tables d'opération du laboratoire pour accéder à celle où Mme Miranda avait ordonné qu'on dépose Aristote. Malgré l'insistance des amis de l'ancien petit valet de Noiraud, la vieille avait refusé de l'emporter avec eux à bord de leur bateau de croisière - qui par ailleurs, aux yeux du jeune Ténébreux, ressemblait plus à une épave qu'à autre chose - sous prétexte qu'ils devaient se dépêcher avant que les hommes du CRU ne reviennent en force.

Ce en quoi elle n'avait pas tout à fait tort, car Noiraud savait que de nombreux militaires étaient en chemin. C'était également pour cela qu'il devait se hâter. Cependant, il était soulagé que Mme Miranda ait fait ce choix bien que cela attise le mépris qu'il ressentait à son encontre, car il avait besoin de vérifier quelque chose, et ce, avant l'arriver de l'armée ou même des mercenaires que son père ne manquerait pas d'envoyer sur place en apprenant la nouvelle.

Si Aristote avait été déplacé, il aurait eut bien du mal à parvenir à ses fins. 

Noiraud s'approcha lentement du petit défunt, et se surprit à l'observer ; malgré la douleur qu'il avait dû ressentir des suites de la balle qui l'avait traversé, le gamin paraissait serein, apaisé, comme s'il avait trouvé la paix dans la mort. Cette image avait quelque chose de dérangeant, pourtant, pendant un court instant, le fils du roi des Ténébreux ne put s'empêcher de l'envier. Il aurait aimé pouvoir se détendre ne serait-ce qu'une seule fois dans sa vie, cependant, c'était impossible ; lorsqu'on avait un père comme le sien, il fallait toujours rester sur ses gardes si l'on voulait éviter de mourir.

Or, personne ne pourrait jamais mieux comprendre la mort que Noiraud, qui y avait été confronté plusieurs fois, notamment lors des nombreux "accidents" qui avaient été fatals pour ses frères aînés, à chaque fois juste après qu'ils aient contrarié le Maître, comme par hasard... Ulysse de Sombrelune ne tolérait pas l'échec, mais il ne pouvait pas non plus prendre le risque de garder un héritier en vie susceptible de le remplacer un jour sur le trône sans qu'il lui serve à quelque chose en échange. Ca, Noiraud l'avait tout de suite compris, et c'était pour cela qu'il s'efforçait de gagner du temps en empêchant son père de mettre la main sur la Chronosphère : car lorsque ce moment arriverait (et il arriverait forcément un jour ou l'autre), le jeune Ténébreux savait qu'il signerait son arrêt de mort.

Un craquement derrière lui le fit sursauter, mais ce n'était que Souffle d'Ombre qui commençait à s'ennuyer, bien qu'il l'ait chargée de monter la garde et de le prévenir si quelqu'un arrivait. La Faucheuse détestait rester inactive, ce en quoi Noiraud la comprenait très bien. S'il n'y avait pas de machination à fomenter, de plan ingénieux à contrecarrer ou d'ennemis à piéger, Edward avait le sentiment de ne servir à rien, ce qui l'exaspérait au plus haut point.

Heureusement, s'il y avait une chose qu'il pouvait accorder à son père, c'était qu'avec lui, on avait peu de chance de s'ennuyer. Jamais ils n'avaient été aussi près d'anéantir les Elementalistes une bonne fois pour toutes, mais ces "fouines", comme les surnommait couramment le Maître, leur avait encore échappé par un tour de force qui échappait à l'entendement. Sans doute avaient-ils commis l'erreur de les sous-estimer, comme lorsque, plusieurs siècles plus tôt, ils avaient fait sombré l'Atlantide dans l'espoir de les décimer... ce en quoi ils avaient lamentablement échoué, d'ailleurs.

Noiraud secoua la tête, se forçant à accomplir ce pourquoi il était encore là. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il serait parti depuis bien longtemps faire son rapport à son père. Mais il ne pouvait prendre le risque de rester dans l'ignorance ; il fallait qu'il sache. Le garçon n'hésita qu'un court instant avant de glisser la main dans la poche de la veste d'Aristote - ce n'était plus vraiment un vol, puisque son ancien petit valet n'était plus là pour lui en vouloir - et y chercha pendant plusieurs secondes ce qu'il tenait tant à récupérer ; en vain.

Evidemment, ce sale gamin avait dû y penser et donner la Chronosphère à un de ses imbéciles d'amis Elementalistes. Ceux-ci ne saisissaient même pas toute l'importance et toute la puissance de l'objet, et ce n'était certainement pas Noiraud qui allait la leur expliquer. En tout cas, il fallait absolument qu'il la récupère, car s'il était sûr qu'il ne pouvait pas la donner à son père, il était également hors de question de la laisser aux Elementalistes, qui trouveraient moyen de lui nuire par le biais de la précieuse sphère, d'une façon ou d'une autre. Non, Edward devait la garder pour lui et peut-être même la cacher dans un endroit où personne ne risquait de la retrouver. Il leva les yeux au ciel avec agacement ; pourquoi les choses ne pouvaient-elles jamais être simples ?

Le jeune Ténébreux se détourna d'Aristote pour quitter la pièce, mais quelque chose en lui l'arrêta. Il fronça les sourcils, perplexe. Était-ce... de la culpabilité ? 

Non, il était bien trop endurci pour ça. Et puis, en réalité, cela ressemblait plus à de la pitié. Oui, c'était donc ça : Noiraud avait pitié d'Aristote. C'était là sa plus grande faiblesse, celle qui le distinguait tant de son père. Il ne prenait pas de véritable plaisir à faire du mal aux autres, il le faisait parce qu'il en ressentait la nécessité, tout simplement. Il ne tuait pas pour le plaisir, d'ailleurs, il s'efforçait toujours d'éviter d'être confronté à une telle éventualité. Au fond de lui, il savait qu'il ne devrait pas raisonner ainsi, et qu'il se devait d'être aussi impitoyable qu'Ulysse de Sombrelune lui-même, s'il voulait survivre. Mais d'un autre côté...

D'un autre côté, Aristote avait prouvé maintes fois à quel point il pouvait lui être utile, et même plus qu'il ne l'imaginait. Noiraud n'avait jamais eu aucune difficulté à le manipuler pour obtenir précisément ce qu'il souhaitait, et à aucun moment il n'avait véritablement échoué, quoi qu'en pensent Jackson et les autres. Si Aristote n'était pas mort...

Un cliquetis se fit entendre du côté de l'ascenseur, annonçant que la patience de Souffle d'Ombre arrivait à sa limite. Plus le temps de réfléchir, il allait devoir faire vite. Espérant avoir pris la bonne décision - et surtout qu'il n'aurait pas à le regretter - Noiraud prit une profonde inspiration et appela les ombres qui entouraient la pièce afin de les plier à sa volonté.

Les ténèbres se rassemblèrent jusqu'à former un immense serpent constitué d'obscurité dont les yeux rouges et malveillants semblaient annoncer un malheur proche. Mais il était trop tard pour changer d'avis, ce qui devait être fait allait être fait. Tandis qu'Edward en arrivait à cette conclusion, le titanesque cobra ouvrit grand la gueule, dévoilant ses terrifiants crochets, avant de fondre sur Aristote à la vitesse de l'éclair, scellant ainsi son destin.

AMIA WHITE - 1. La ChronosphèreWhere stories live. Discover now