Les gardiens des murs et le passe-muraille

CHAPITRE TROISIEME (2)

Lucy admirait Teophilius pour son éloquence, c'était un homme très intelligent, capable d'inventer sur le vif de magnifiques phrases. Le discours qu'il venait de prononcer n'était pas le reflet de son œuvre, mais il était néanmoins très réussi pour ouvrir les festivités.

Jade et Clarisse s'étaient approchés doucement de Jack avec leur grâce habituelle, et celui-ci avait accepté de danser avec les deux jeunes filles en même temps. Tous les autres duos passèrent un par un, d'abord Mr et Mme Sharp (une valse d'amoureux typique ou l'on voyait les lueurs dans les yeux des vieux tourtereaux), puis vint Mme Sanders et El Padre, Fedora et Sam (qui était très bon danseur pour un garçon de son âge), Anne Janneton et Charlie (qui resta éberlué face à l'immense beauté de l'actrice française) et enfin Annie et Thomas.

Lucy les regarda avec un petit sourire. Elle était très heureuse d'assister à ce magnifique concours de valse, mais elle parut déçue de ne pas pouvoir danser, n'ayant pas de partenaire. Malgré tout, pour ne pas gâcher le bonheur des autres, elle resta silencieuse.

Alors qu'Annie et Thomas quittaient la piste de danse, Mme Sanders s'avança et dit :

- Voilà, le concours de la meilleure valse est désormais clos. Je vous invite à aller voter pour le couple de danseurs ayant le mieux réussi sa...

- Attendez !

Alors qu'elle s'apprêtait à ne plus prendre de participants, Teophilius se jeta aux genoux de Lucy et dit :

- Lucy Bells ! La dernière fois que je vous ai vu, vous étiez magnifique. Et aujourd'hui, vous l'êtes encore plus. Accepteriez-vous d'être ma partenaire pour cette valse ?

Lucy resta debout, la main dans celle de Teophilius, sans savoir quoi faire. Elle était complètement figée, incapable d'articuler le moindre mot. Cette situation l'embarrassa, mais elle était à la fois heureuse comme jamais de pouvoir danser pour ce concours, de plus avec un partenaire qui ne lui déplaisait pas, bien au contraire ! Les deux danseurs s'avancèrent vers le centre de la piste de danse. Teophilius prit les mains de la jeune femme entre les siennes.

- Sur quel morceau aimeriez-vous danser ? demanda-t-il avec sa voix charmeuse.

- Euh...connaissez-vous la valse de la Belle au Bois Dormant de Tchaïkovsky ?

- Bien entendu, dit-il en se tournant vers l'autre côté de la salle en bal en claquant des doigts, musique !

Soudain, il y eut plein de petites étincelles qui brillèrent au plafond et qui descendirent doucement vers le sol pour se rassembler et former des instruments. Des cordes, des bois, des cuivres et des percussions apparurent dans un ordre précis, reproduisant fidèlement la disposition d'un orchestre symphonique. Les instruments jouaient seuls, sans l'aide d'un instrumentiste. La magie que possédait Teophilius paraissait sans limite pour Lucy.

Ainsi, au bout de quelques secondes, les instruments se mirent à jouer.

Le rêve commença alors pour Lucy. Elle et son partenaire se mirent doucement à tourner, à tourner, à tourner au rythme de la Valse de la Belle au Bois Dormant. Un deux trois, un deux trois, un deux trois... Au début du morceau, Lucy se concentrait un maximum afin de ne pas faire un seul faux-pas, puis les trois temps de la valse l'emportèrent dans un tourbillon de plénitude et de bonheur. Elle oublia ce qui lui tournait autour : Mme Sanders, Mr et Mme Sharp, les autres Voyageurs...ils disparaissaient tous pour ne laisser que Lucy, Teophilius et la piste de danse qui semblait elle-même guider les danseurs. Si la jeune femme se serait vu danser, elle se serait exclamé : «Non, ce n'est pas moi, je ne danse pas comme cela.». Pourtant, c'était bien elle qui s'emportait dans cette tempête de bonne humeur, d'amusement et de sérénité. La piste guida ses pas vers d'autres horizons, d'autres pays, elle quittait le Castel et le monde des esprits pour rejoindre un Paradis où il n'y avait qu'elle et son magnifique partenaire. Elle dansait dans les nuages, épanouis comme jamais elle ne l'avait été.

La jeune femme sentit soudain que les instruments allaient conclure la valse. Les deux danseurs se mirent à tourner de plus en plus vite pour finir en beauté cet ouragan de plaisir. Achevant leur valse en tendant grand leurs bras et se tenant la main, Lucy et Teophilius furent applaudis de bon cœur par tous les esprits présents dans la salle de bal.

- Bravo, Lucy ! S'exclamèrent Jade et Clarisse.

- Oui ! Renchérirent Baptiste et les autres enfants, vive Lucy !

Lucy leur fit un immense sourire. Le sourire le plus sincère qu'elle eut fait de toute sa vie.

- Bon, dit Mme Sanders en se frottant les mains, je pense que nous n'avons pas besoin de voter, nous avons nos vainqueurs. Les gagnants du concours sont Lucy et Teophilius !

La jeune femme se tourna vers son partenaire, qui lui sourit en lui murmurant :

- Cela aurait été dommage de manquer l'occasion d'épater tout le monde.

Lucy lui rendit son sourire. Cette soirée restera à jamais la plus belle de toute sa vie !

Lorsque les Voyageurs furent partis, Lucy fut l'une des premières à rejoindre sa chambre. En remontant les escaliers, elle repensa à Teophilius. Le magnifique, le beau, le grand Teophilius. C'était un homme que la jeune femme admirait beaucoup. Elle avait passé une soirée inoubliable, et cela était grâce à lui !

En arrivant à l'étage, Lucy se dirigea vers sa chambre. Alors qu'elle s'apprêtait à l'ouvrir, elle entendit un bruit venant du couloir d'à côté. Intriguée, elle s'avança doucement. Cela devait être Anatole qui se chamaillait encore une fois avec Sam ou Baptiste.

C'est alors qu'elle entendit des murmures. Elle ne comprenait pas ce qui se disait, mais elle reconnut une voix d'enfant et une autre d'adulte. Lucy se colla contre le mur et avança tout en restant accroché à celui-ci. Une fois arrivée devant le couloir, ce qu'elle vit la figea de terreur : quelqu'un venait de traverser le mur ! Elle n'avait vu que la jambe gauche et le dos car tous deux n'avaient pas encore traversés la paroi. Lucy crut à une hallucination, mais celle-ci lui avait paru tellement vrai. Elle resta debout devant le couloir sans bouger, attendant que la personne venant de traverser le mur se manifeste. Au bout de dix minutes, personne n'était revenu.

Elle s'avança dans le couloir vers l'endroit où la personne semblait avoir disparu. À côté de l'endroit où la personne s'était volatilisée, il y avait une porte. Lorsque Lucy passa devant, la poignée se mit à se secouer énergiquement. La jeune femme, prise de panique, recula de quelques pas, tout en poussant un cri presque inaudible. Mais, apparemment, la personne à l'intérieur l'avait entendu car elle lui répondit :

- C'est toi, Lucy ?

Lucy poussa un soupir de soulagement : c'était Clarisse qui ouvrit doucement la porte de sa chambre, suivit de près par Jade.

- La porte s'était coincé, dit Jade, on a essayé de l'ouvrir, désolé de t'avoir fait peur.

- Ce n'est rien les filles, répondit Lucy, mais allez vous coucher, il est tard maintenant.

Les deux filles refermèrent doucement la porte de leur chambre. Lucy se dirigea lentement vers la sienne, sa tête remplies de questions sans réponses. Elle ne comprenait absolument pas ce qui venait de se passer. Afin de s'endormir, elle préféra oublier tout ça et elle se dit qu'elle y réfléchirait à tête reposée demain matin...