CHAPITRE DIXIEME (2)

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Lorsque Lucy entendit cet étrange murmure pour la troisième fois, elle se retira complètement de son sommeil et quitta son lit une bonne fois pour toute.

Ces murmures étaient incompréhensibles, même l'Homme le plus attentif au monde n'aurait pas pu comprendre ce qui se disait. Lucy saisit le petit chandelier posé sur le bureau et alluma la bougie. En sortant de la chambre, la jeune femme fut pris d'une énorme angoisse. Qu'allait-elle trouvé lorsqu'elle verrait la personne qui murmurait ? Elle ne voulait pas le savoir, mais elle savait qu'elle ne serait pas en paix si elle ne partait pas à sa recherche. Elle descendit doucement le grand escalier afin d'accéder à la salle à manger.

Il n'y avait personne. Lucy pouvait voir la pluie marteler la fenêtre d'un son désagréable. Elle sentait que ce n'était pas une soirée comme les autres, qu'elle allait découvrir quelque chose qui allait tout changer.

Elle quitta la salle à manger et se dirigea vers la salle de jeux. Il n'y avait personne non plus. Seul le chandelier à trois branches de Mme Sanders était resté allumé. La vieille femme dormait là, et la Lucy la regarda d'un air de pitié : ce qu'elle avait fait après la réunion mouvementé n'était pas de sa faute, et Lucy le comprenait bien, de fait, elle lui avait vite pardonné. La jeune femme souffla sur les bougies et quitta la salle de jeux. C'est alors qu'elle entendit le son d'une douce musique. Le son typique du piano de la salle de bal ! C'était le morceau que Mme Sharp jouait habituellement afin d'effrayer les vivants ayant pénétré le Castel.

Soulagée, Lucy se dirigea vers la salle de bal. Toutes ses inquiétudes disparurent tels de folles envolées lyriques que l'on a à peine le temps de discerner à l'oreille.

- Mme Sharp, dit-elle d'un ton moqueur, vous ne croyez pas qu'il est un peu tard pour jouer du piano ce soir ?

Elle ouvrit grand la porte de la salle de bal et resta bouche bée : la salle était vide, et le siège du pianiste était vide. La musique s'était arrêté. Un frisson d'effroi traversa la jeune femme.

- Mme Sharp, ce n'est pas la meilleure heure pour me tourmenter. Pourriez-vous vous montrer, s'il vous plaît ?

Personne ne répondit à son appel. Lucy se sentit de plus en plus mal à l'aise. Comment le pianiste avait-il pu disparaître aussi rapidement ? La jeune femme se frotta les bras : il commençait à faire sérieusement froid. Décidée à rejoindre sa chambre, elle quitta la salle de bal et comprit soudain pourquoi avait-elle si froid : la porte d'entrée du Castel était grande ouverte. Paniquée, Lucy courut vite vers la porte et la ferma violemment dans un grand fracas. Peu après cela, les murmures qu'elle avait entendu plus tôt reprirent, mais cette fois-ci, ils semblaient venir de l'étage.

Bien décidée à déceler le fin mot de l'histoire, Lucy saisit très fort son chandelier dans la main droite pour se donner confiance. Sa main devint vite moite, et Lucy dut se la frotter contre la robe de chambre pour y retirer la sueur. Elle monta très doucement les escaliers, tout en entendant de plus en plus distinctement ces fameux murmures.

Elle prit le couloir en direction des chambres des enfants. C'était un long couloir, terrifiant le soir venu. Lorsqu'il n'y avait personne dans celui-ci, on croirait voir une ombre y circuler. C'est pourquoi Mme Sanders avait toujours exigé à ce que les enfants restent dans leur chambre jusqu'au lever du jour, de peur que cela soit une entité démoniaque qui veuille s'en prendre à eux.

Lucy continua d'avancer dans le couloir sombre, dont la lueur de la bougie du chandelier éclairait une infime partie. Plus elle avançait, plus elle se plongeait dans les ténèbres. Elle avait l'impression de se rapprocher de l'Enfer, qu'à un moment, le Malin lui tendrait la main pour l'emmener dans les tréfonds de l'empire du mal.

Soudain, Lucy entendit des bruits de pas. Elle se figea et ne bougea plus. Elle ne se retourna même pas, de peur de voir quelque chose qui la terrifierait. Sa main droite se mit à trembler. Elle ferma les yeux, mais les rouvrit aussitôt sachant que la chose se tenant derrière elle pourrait ainsi s'en prendre à la jeune femme sans qu'elle puisse s'en rendre compte. Cette longue minute parut durer une éternité. Lucy prit son courage à deux mains et commença à pivoter doucement vers la droite afin de voir ce qui se tenait derrière elle. Alors qu'elle s'attendait à voir Belzébuth, ou une autre créature immonde de ce genre, ce fut Anatole qu'elle aperçut, se tenant droit devant elle.

La joie et la terreur la traversèrent instantanément. Elle était heureuse de voir qu'il se portait bien, mais terrifié à l'idée qu'il soit devant elle alors qu'il avait complètement disparu du Castel. Peut-être était-il rentré par la porte d'entrée. Voilà pourquoi celle-ci était ouverte tout à l'heure ! Lucy soupira de soulagement.

- Oh, Anatole ! Je suis tellement heureuse de te voir, mais tu m'as fait une de ces peurs. Tu vas bien au...

- Tu veux jouer avec moi ?

Lucy ne comprit pas immédiatement la question du garçon.

- Que...qu'est-ce que tu as dis ?

Anatole ne répondit pas, et se contenta de se retourner et de partir en courant, quittant le faisceau de lumière émit par le petit chandelier et disparaissant dans l'obscurité.

- Anatole, attend ! Protesta Lucy.

Soudain, la flamme qui dansait au-dessus de la bougie disparut et la jeune femme se retrouva dans le noir complet. Un ricanement sournois résonna dans le couloir, et Lucy se retrouvait sans défense, à la merci des créatures de l'ombre, cet ombre où se cache les pires monstres que l'univers ait jamais connu. La jeune femme se mit à marcher du plus vite possible, tout en tendant les mains vers l'avant pour éviter de percuter un mur.

Elle marcha ainsi, les bras tendus, espérant atteindre sa chambre le plus vite possible, mais rien à faire, le couloir semblait infini, et Lucy était condamné à continuer de marcher jusqu'à ce qu'elle percute un obstacle.

- Laissez-moi tranquille ! Hurla-t-elle, complètement désespérée, qui êtes-vous bon sang ?

- Je suis le Passe-Muraille, Lucy, donne-moi ton âme et les autres esprits du Castel auront la vie sauve.

- Jamais ! Vous mentez, vous les tuerez également.

- Tu es très maligne. On ne peut pas faire de surprises avec toi. Tant pis !

En une fraction de seconde, Lucy se retrouva au sol, tirée vers l'arrière par une force inconnue. Elle tenta de s'agripper aux murs, mais elle n'y arriva pas. La panique l'envahit et elle tenta par tous les moyens de se tenir à quelque chose, quitte à déchirer le papier peint. La chose qui la tirait vers l'arrière possédait une force inouïe. Elle eut soudain une idée et saisit le tapis à pleine main. La force inconnue continua de tirer, mais Lucy resta accrochée, bien décidée à ne pas disparaître dans les ténèbres. Sans doute épuisée, l'étrange force qui tenait Lucy par les pieds lâcha prise et la jeune femme se retrouva libre de ses mouvements.

Elle ne comprenait plus rien à ce qu'il se passait autour d'elle. Elle se releva d'un seul coup, renonça à la sécurité et se mit à courir vers l'avant, le plus vite possible afin d'atteindre quelque chose. Elle entendait derrière elle le même rire sournois que précédemment. Celui-ci semblait s'accentuer, comme si la personne qui détenait ce rire (sans doute le Passe-Muraille ou une autre monstruosité) se rapprochait de la jeune femme. Alors qu'elle allait s'arrêter de courir et se laisser emporter par cet esprit, Lucy percuta un mur et s'évanouit...


«Lucy, réveille-toi à la fin !»

La jeune femme ouvrit les yeux et vit Jeanne et Mme Sanders, se tenant debout au-dessus d'elle.

- Que s'est-il passé ? Demanda son amie.

- Je...je ne sais plus. Je me souviens avoir couru pour échapper à quelque chose et m'être pris un obstacle mais sinon...plus rien, le vide.

- Ça pour t'être pris un obstacle, tu n'y est pas allé à moitié, on a tous entendu un violent «bam !» venant du mur près de l'escalier. Encore un peu et tu le dévalais avant d'atterrir dans le rez-de-chaussée.

Lucy ne répondit pas et se dirigea vers sa chambre, complètement épuisée. Elle cocha le cinquième chiffre.

- Plus que deux jours, dit-elle en soupirant avant de s'effondrer dans son lit pour se reposer une heure ou deux.

Les gardiens des murs et le passe-murailleWhere stories live. Discover now