Chapitre 10

2.1K 242 17
                                    

ADE

     Mes mains sont rougies par les coups dans les sacs de boxe. J'ai de mauvais appuis, mes coups sont irréguliers, rien ne va. Je ne peux pas m'entraîner à la course, ou alors en pas chassés. L'entraînement est terminé, les instructeurs sont déjà partis quelque part dans les Arceaux ou dehors. Personne pour me conseiller quoi faire pour m'améliorer. Le tableau affiche ma photo rougeâtre avec mon score : zéro. Je prends un mauvais départ.

     Ma jambe me lance. Elle est échauffée. C'est qu'une coupure ça cicatrisera vite, mais les points me tirent ma peau légèrement violacée et boursouflée. Cirkel était descendue me chercher pour aller dîner avant de repartir face à mon agacement. Je devrais faire une pause, ça doit bien faire deux heures et demies que je frappe n'importe comment dans ces sacs. Mes cheveux me collent au visage, ils me gênent. Je n'ose pas vraiment les attacher à cause du marquage, mais je suis seule depuis un long moment, donc personne ne devrait me surprendre. Je les ramène au sommet de mon crâne pour les nouer. Je laisse échapper un soupir de soulagement. Je peux sentir un brin d'air me caresser la nuque.

     Le sous-sol a son propre stand de tir. Je m'y dirige, prends une arme et m'agenouille sur des tapis. Les cibles sont à environ dix mètres me semble-t-il. Je tire mon tapis pour me rapprocher. Je m'allonge, déplie le trépied du fusil, ajuste la lunette et observe. Le buste du mannequin est dans mon champ de vision. Je règle la lunette. Expire à fond, le doigt posé sur la détente et tire. La balle écorche le côté gauche du mannequin et part se loger dans le mur derrière. Je me relève avec peine. J'amène mes doigts sur l'impact de la balle. C'est la toute première fois que j'utilise une arme à feu. Mon épaule s'est prit le recul, je ne sais pas comment l'on doit caler une arme pour limiter les impacts.

     Je continue plusieurs fois, mes tires suivent tous la même trajectoire, je ne me rapproche pas énormément du corps, seulement du flanc. Je décide d'arrêter l'entraînement qu'une fois le buste touché. Au bout d'une heure j'arrive à toucher une épaule en remontant le trépied. Mon épaule me fait mal, le recul me surprend à chaque coup, je m'y prépare mais je n'arrive pas à ajuster la plaque de couche, je ne comprends pas comment le tenir autrement. Sans instructeurs je risque de prendre de mauvaises habitudes, seulement sans m'entraîner je prends du retard, donc lequel est le mieux ? Je remets le fusil en place avant de remonter. Mon regard se repose sur le tableau en partant. A la vue de mon score accolé à mon nom je me résous à rester. Il faut que je m'améliore, que demain je gagne des points pour sortir du rouge.

*

     L'eau ruisselle sur mon corps. Je suis si épuisée. Je n'aie pas eu la force d'enlever mes sous-vêtements. J'ai laissé tomber mon pantalon devant la douche qui prend l'eau. Mon t-shirt est à moitié dessus, il ne va pas tarder à être mouillé. L'eau me coule sur le visage, trace son chemin dans mes cheveux pour atteindre les canalisations. Je me suis entraînée au tir pendant deux heures je crois. J'ai essayé debout, allongée, accroupis derrière des obstacles, courant d'un obstacle à l'autre comme si on me tirait dessus. J'ai essayé de me donner bonne conscience, de me convaincre que je prenais un peu d'avance sur les autres pour compenser la course mais en fait je reste au même stade. D'autant plus que j'ai fait mon propre entraînement, sans instructeurs, je ne sais même pas si je me suis bien entraînée. J'ai peut-être perdu mon temps ce soir.

     J'ai mal partout, à l'épaule, aux bras, aux mains. Je vais, en plus d'être fatiguée, être courbaturée. Le seul point positif à cette douleur est qu'elle m'a fait oublier celle de ma jambe. J'arrive à mieux marcher, sans trop boiter. Ça me fait penser que je n'ai pas ôté mon pansement qui est déjà imbibé d'eau. Il faudra que je repasse à l'infirmerie m'en faire poser un autre. Mes cheveux commence à tomber sur mes épaules. Tout mon corps reçoit l'eau avec gratitude. Je pourrais dormir là. D'ailleurs je sens qu'il faudrait que je rejoigne le dortoir pour éviter d'être retrouvée ici demain matin. Je m'appuie contre la paroi froide de la douche, je pose ma tête sur mes genoux et commence à fermer les yeux. Je n'aurais pas dû m'entraîner autant, je vais être morte demain... Je laisse l'eau continuer son travail sans la couper. Je suis certaine que je dors mieux ici que dans le dortoir. Je pourrais essayer pour être sûre.

     Je sens l'eau continuer sa course sur mon corps, le bruit qu'elle produit à la fin de sa course, le son des gouttes glissant sur mes cheveux, puis quelque chose de chaud posé sur mon genoux. Qui se déplace à ma main. Je relève la tête pour tomber sur Loan. Il est agenouillé, souriant, mes habits coincés dans la pliure de son coude. Il coupe l'eau au-dessus de moi. La tuyauterie grince lorsque le robinet tourne. Je me redresse un peu mais je n'arrive pas à me convaincre de me lever. Il pose mes vêtements sur le rebord du lavabo avant de revenir vers moi pour déposer sa main sur mon épaule. Il garde son sourire, m'invitant à me lever. Il doit être sacrément tard, il n'aurait pas dû monter, on va être crevés demain. Ou plutôt tout à l'heure. Je remets ma tête sur mes bras quand je sens son index trop près de mes numéros. Il s'avance vers moi mais également sa main. Je renferme encore plus ma tête, je croise mes pieds complètement anxieuse. Le marquage n'est pas perceptible au toucher comme les tatouages, mais les cicatrices laissées par les pointes ne trompent pas.

     Je sens ses doigts passer sur la série de cicatrices. Le rouge me monte aux joues. Je ferme les yeux. Ça devait arriver tôt ou tard, pourquoi pas maintenant ? Après tout, à part m'humilier davantage en étant en sous-vêtements, clouée au sol dans les douches, trop faible pour aller me coucher, découvrir mon secret n'est pas grand chose. Sa main reste sur ma nuque. Il ne fait rien. Pourquoi ne part-il pas ? En relevant la tête je découvre son visage. Les yeux rivés sur les miens. Il se lève en me tendant sa main que j'accepte. Je m'avance pour récupérer mes vêtements mais il m'arrête, replace ma chevelure derrière ma nuque. Je le fixe un moment. J'aimerais lui dire un million de « merci » mais je n'arrive pas à parler, aucun mot ne veut franchir mes lèvres. Tant pis. Je me niche dans ses bras, le serrant bien plus qu'il n'est nécessaire mais je suis soulagée. Il serre ses bras autour de mes hanches, pose son menton sur mon épaule. J'appuie mes mains sur son dos. Je suis tellement reconnaissante, pourtant ce n'est rien d'exceptionnel mais je suis tellement honteuse de m'être faite marquer comme du bétail, d'avoir volé comme une mal-propre alors que je suis douée pour ça. Je me suis faite avoir et on me le rappelle chaque jour. D'autant plus qu'en parler reviendrait à crier au monde entier de me fuir. Je ne sais pas si je suis de poids face à la solitude.

     Je desserre mon étreinte. Je récupère mes vêtements et lui adresse un sourire gêné pour le remercier. Il me le renvoie. Je me tourne pour enfiler mon pantalon, trempé c'est plus que pénible, mon t-shirt qui dessine parfaitement mon soutien-gorge. J'ai l'air ridicule mais moins que si j'étais redescendu en sous-vêtements.

     Nous redescendons au dortoir nous coucher, tenter de dormir avant la deuxième journée, de stocker un peu de sommeil pour tenir le rythme. Le Prétoire reste animé, mais moins qu'en début de soirée, le bar est toujours éclairé, on entend les verres trinquer, se répercuter les uns sur les autres. Les rires joyeux, ceux des blagues salaces, des rires en chœur, mêlés à la même personne. C'est agréable un peu de vie. Il ne faut pas que je me laisse abattre, tout le monde n'est pas irréprochable ici. Je n'ai pas à avoir honte ou me sentir mal dès qu'il y a trop de monde autour de moi, susceptible d'apercevoir ne serait-ce qu'un chiffre. Si ça doit se voir, ça se verra. Face à la réaction de Loan, je suis rassurée de voir que tout le monde ne fuit pas les marqués. Même si je préfère qu'il le garde pour lui. J'arrête Loan dans l'embouchure du dortoir en tenant son avant-bras.

- ...Merci.

L'Organisation [ TERMINÉE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant