Chapitre 15

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— Putain, s'exclame Julien le mercredi alors qu'ils sont en cuisine, hier j'étais en train de me balader aux buttes Chaumont avec une meuf, normal, et là on tombe sur un couple de mecs en train de s'embrasser et tout, on était trop choqués !

— Pourquoi, parce que c'étaient deux mecs ? ricane Maxence depuis son plan de travail. C'est un peu homophobe, ce que tu dis là.

— Je pas homophobe, juste, je sais pas, j'ai pas envie de voir ça. Je sais pas, c'est privé, tu vois.

— Parce que toi t'as jamais embrassé ta petite amie dans un lieu public, peut-être ? le taquine Philippe.

— Si, mais bon, je sais pas, pas... comme ça.

Seul du côté des desserts, Clément suit la conversation d'une oreille attentive. Au moins, il n'a pas l'air de les avoir reconnus.

— Tu sais, garçon ou fille, le mécanisme est le même, hein, lance Maxence.

— Moi je suis d'accord avec lui, intervient Sylvain. Ce genre de choses, c'est intime, ça n'a rien à faire dans un lieu public.

— Non mais ce que j'essaye de savoir, dit Maxence, c'est si ce qui l'a gêné, c'était qu'ils s'embrassaient ou que c'était deux mecs.

— Bah qu'ils s'embrassaient comme ça, je sais pas, ils étaient limite à passer à l'étape suivante tu vois ! je sais pas, y avait des gamins autour !

— Tu parles de toi, c'est ça ? lance Thierry.

Tout le monde éclate de rire, sauf Julien, qui se renfrogne.

— Non mais je sais pas j'avais pas envie de voir ça, marmonne-t-il.

— Ouais mais bon, s'ils ont envie de s'embrasser à ce moment-là, dit Maxence, on va pas les en empêcher, non ? Je veux dire, moi quand j'ai envie d'embrasser ma copine, je le fais, même si c'est dans un parc ou je sais pas quoi. Ça me semble logique. Non, Clément, t'en penses quoi, toi ?

Clément relève la tête.

— De manière générale, je suis pas fan des démonstrations publiques d'affection, moi.

*

Quand Manu rentre chez lui le vendredi soir, seul pour la première fois depuis un long moment, il se sent un peu déprimé. Clément l'a quitté le matin pour aller faire un peu de ménage chez lui avant d'aller chercher sa mère pour sa sortie de l'hôpital, et lui est parti travailler, comme si de rien n'était.

Dans le coup de feu du boulot, la journée est passée rapidement, agrémentée de quelques sms de Clément (« OMG ce ménage été vraiment nésséssaire »), mais maintenant qu'il est dans son appartement, sans rien d'autre pour lui distraire les pensées, Manu se met à remarquer toutes les traces que Clément a laissées chez lui. Une pile de disques à côté de la chaine hifi ; un tee-shirt et deux caleçons dans la chambre ; un élastique bleu turquoise sur l'étagère de la salle de bain ; à côté du panier de linge sale, la nappe de leur pique-nique, encore pleine d'herbe et de terre ; deux tasses vides dans l'évier ; et, dans l'entrée, le casque de moto offert trois jours plus tôt.

Et ça, ce ne sont que les traces visibles. Il y a aussi l'empreinte de ses fesses dans le canapé, l'écho de son rire dans la cuisine, l'odeur de ses cheveux sur l'oreiller. Dire qu'à peine plus d'un mois plus tôt, Manu était plus qu'heureux de, tous les jours, retrouver ce silence, cette intimité qui n'était que la sienne, et s'y blottissait avec volupté.

Mais aujourd'hui, il la trouve vide, fade et sans aucun intérêt. Il ne s'y ressource plus, n'y trouve plus son confort et, même, s'y sent étrangement mal à l'aise et maladroit, comme s'il évoluait dans un espace qui n'était pas le sien.

La cuisine ne ment jamais [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant