Bonus #3 - Septième sans ascenseur

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— Non mais j'aime tellement manger !

— C'est peut-être pour ça que tu devrais apprendre à cuisiner.

Stephen s'arrête, son éclair au chocolat à la main, et se tourne vers Marianne, un air outré sur le visage.

— Mais... mais ça n'a rien d'intéressant ! Quand tu cuisines, tu as toute cette nourriture sous les yeux et tu peux pas y toucher parce qu'elle doit servir à faire d'autre nourriture. C'est de la torture ! Et puis c'est long.

— Torture ou pas, maintenant que tu vis tout seul il va bien falloir que tu t'y mettes : déjà que payer le loyer sans Marcus va être difficile, tu peux pas en plus te permettre de toujours manger dehors. Surtout sans salaire...

— Bah, t'habites pas très loin, la taquine-t-il en mettant son bras sur ses épaules.

Elle le dévisage d'un air dédaigneux en se remettant à marcher.

— C'est ça, oui, et puis quoi encore. Si tu veux te faire inviter, va chez papa et maman, ils seront ravis !

— Oui, bien sûr, ils seront surtout ravis de me demander quand est-ce que je vais trouver un vrai travail et une copine.

— Ils ont peut-être pas tort : à voir comme ça, on a pas l'impression que tu fais grand chose de ta vie.

— Et la musique, dit-il en touchant l'étui de la guitare dans son dos, tu crois que ça se fait par magie ? Je suis bien occupé, avec le groupe.

— Ouais, avec vos trois concerts par mois qui vous rapportent vingt euros chacun ?

— Eh, en janvier on en a fait sept ! et on a réussi à écouler presque cent disques en quatre mois.

— C'est ça, va raconter ça à papa et maman, sourit-elle.

Il enfourne la dernière bouchée de sa pâtisserie et, se léchant les doigts, marmonne la bouche pleine :

— De toute façon je vais me trouver un autre coloc, t'inquiète pas. C'est pas ça qui manque, les gens qui cherchent un logement, sur Paris.

— Bon allez, si tu trouves quelqu'un qui veut bien partager ton taudis, tu me tiens au courant. Je t'abandonne là, je retourne bosser.

Elle lui plante une bise sur chaque joue et s'éloigne dans une rue transversale avec un geste de la main et un sourire.

— C'est pas un taudis ! Et merci pour le repas ! crie-t-il derrière elle.

Remontant son casque sur ses oreilles alors qu'il met son mp3 en route, il soupire. Sa sœur n'a pas tout à fait tort. À vingt-cinq ans, il n'a pas de diplôme – il a arrêté la fac après un semestre en langues – et a tout misé sur la musique. Son groupe, Chaos Talking, est son troisième, et commence à se faire une petite réputation en région parisienne. Ils ont participé à quelques tremplins, joué dans quelques bars, et, eux ou trois fois, en première partie de groupes locaux plus connus. Ils ont même réussi à se payer trois jours d'enregistrement en studio pour leur album, qu'ils arrivent à vendre au compte-goutte. C'est la première fois que l'un de ses projets arrive aussi loin, et il n'a pas envie d'arrêter maintenant. Mais voilà, il a un loyer à payer – double, même, depuis que son ancien coloc a pris un appart avec sa copine –, des factures à régler, des disques à acheter, et sa musique paye pas vraiment pour tout ça. Du coup, il cumule les petits boulots – distribuer des prospectus à la sortie du métro ou dans les boîtes aux lettres, aider sur les marchés – et joue même des fois dans la rue, juste pour boucler ses mois. Et, même si ce mode de vie ne le dérange pas spécialement, ça lui fait un peu peur de se dire qu'il va peut-être passer sa vie comme ça, à rester un musicien de pacotille qui lutte pour joindre les deux bouts. Surtout que si, un instrument de musique entre les mains, il est plutôt doué, dès qu'il lui faut faire face à la vie courante, il est totalement désemparé. Quand ils ont trouvé leur appart, il y a deux ans de ça, c'est Marcus qui avait réglé tous les problèmes logistiques. Et puis, comme l'a souligné Marianne, lui qui aime tant manger, il ne sait pas cuisiner – d'ailleurs, ça fait dix jours qu'il mange en alternance du riz, des pâtes et des sandwichs.

La cuisine ne ment jamais [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant