Chapitre 1.

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Là où l'enchanteresse est passée, une autre passera,
Son cœur battra de sang et de sel, elle portera la marque de sa destinée.
Maîtresse des illusions et de l'envoûtement, ses ennemis craindront son arrivée.
Quand ce qui fut fait autrefois par la magie, la magie le défera,
Que les furieux seront enfin libres, que les cadenas se briseront,
Que la discorde et le malheur s'envoleront,
La dixième des premières affrontera le maléfice divin.
Et la mort sera la clé de son destin...

Prophétie de la destinée,
Par l'enchanteresse elle-même. Date inconnue pour le moment.

*

Les pertes ont tendances à blesser et faire saigner les cœurs. Peu importe leur origine. La mort, la colère, la trahison, la fuite... Elles nous marquent et ce, parfois à jamais. Voilà pourquoi je n'aurai jamais dû avoir d'attaches. Je maudis le jour où j'ai laissé mon cœur être envahit par autre chose que l'appel du large. Je maudis le jour où je me suis liée d'amitié avec des humains, des héros... Un dieu. Je maudis le moment où mes lèvres ont rencontré les siennes. Ce souvenir me hante, un fantôme infatigable qui torture par sa présence la moindre minute de ma vie. Cet attachement est la pire entrave à la liberté. Et une fois pris dans ses filets, il est impossible de s'en défaire. Je maudit, de tout mon cœur, de toute mon âme, ce terrible sentiment.

Il rend les pertes si insoutenables que parfois même la vie semble inutile et sombre.

Alors je fuis, comme toujours. Je fuis pour ma survie. Plus jamais je ne me laisserai prendre au piège. Je m'en suis faite la promesse.

La neige tombe et tourbillonne autour de moi. Debout au milieu d'une rue déserte, éclairée par un lampadaire grésillant, dans la robe de soirée la plus courte que je possède, je ne sens pas le froid. Je ne ressens plus beaucoup en vérité. Les flocons recouvrent le monde mais je continue à ne ressentir que l'appel de la mer. Elle n'est pas loin, je la perçois. Ses vagues turbulentes apaiseront mon âme, porteront mon cœur et je me sentirai enfin en paix. Je lève une main vers le ciel. Un flocon vient se poser au creux de ma paume et je l'observe. Sa blancheur pur contraste avec l'écarlate d'une goutte de sang que je n'avais pas nettoyé. Je plisse des yeux avant de serrer le poing.

Plusieurs éclairs déchirent le ciel. Les dieux sont exaltés. Ils se déchaînent. Leur liberté les rend ivres. Ivres de puissance et de pouvoir. Je retire mes chaussures à talon et les laisse sur place pour me mettre à courir vers la mer. Je traverse la plage à toute vitesse et plonge dans l'eau salée.

Alors que je m'enfonce vers les profondeurs mes jambes laissent place à une longue nageoire de poisson à la puissance démesurée. Je nage encore et encore vers les ténèbres avant de me laisser porter par le courant. Je fend l'eau, je la sens agiter mes cheveux sombres, je sens sa résistance contre ma peau, je sens la force du courant quand ma nageoire la bat. Une sérénité rare s'empare de moi et je ferme les yeux.

Grave erreur.

*

Un étrange froid, différent de celui de l'océan m'entoure tandis que j'émerge lentement des ténèbres qui m'avaient accueillient. Je me redresse soudain, prenant une grande inspiration. Je balade mon regard tout autour de moi, tandis qu'une méfiance disproportionnée se répand dans mes veines. Par tous les cieux, où suis-je ? Cet endroit est étrange. Bien trop étrange. Le lieu est immense et sombre. Il n'y a rien d'autre à part cette immense étendue sans fin, triste, et si grisâtre qu'on ne peut plus différencier le ciel de la terre. Et pourtant j'y vois clair. Le sol est recouvert d'une fine nappe de brouillard. Je me relève, sur mes gardes. La brume cache mes pieds et mes mollets. Il n'y a rien d'autre à part moi, le brouillard et les ombres. Je frictionne mes bras dans l'espoir de causer une quelconque sensation. Mais rien. Je ne ressens rien.

De plus en plus curieux...

Mais alors que je me pensais seule, j'entends des pas derrière moi. Puis une voix tranche le silence :

« Bonjour Mélusine.

Je me fige. Ce timbre de voix, ce ton mielleux aux reflets fielleux... Je pensais ne plus jamais l'entendre. Je fais volte face et écarquille des yeux. La femme me sourit posément mais son regard est toujours aussi méprisant.

- Eris...

Elle hoche la tête.

- Je suis ravie de te revoir jolie sirène.

- Ce n'est pas mon cas. Alors, tu n'es pas morte ?

- D'une certaine manière, si. Mais les dieux sont immortels. Disons que je suis bannie là où je ne pourrais jamais en revenir. Les limbes sont une prison bien plus terrible que celle où se trouvaient mes frères et sœurs.

Elle parle avec calme. Je ne retrouve pas en elle la déesse qui a cherché à me tuer et qui désirait dérober l'immortalité des sirènes ainsi que leurs pouvoirs.

- Tu es étonnée n'est ce pas Mélusine ? Je suis « morte », je n'ai plus aucune chance de semer la discorde. Je reste maléfique cependant, ne te méprend pas.

- Qu'est ce que je viens faire ici alors ?

Ses cheveux sombres semblent être agités par un vent que je ne ressens pas. Cet endroit, ces limbes, semblent obéir à leurs propres règles. Ce qui est peut-être d'ailleurs le cas. De ce que j'en sais, les créatures dites immortelles comme les sirènes ou autre s'y retrouvent après leur mort. Elles errent dans ces brumes froides pour l'éternité. En ce qui concerne la déesse, elle a du se retrouver bannie ici sans être morte. Elle conserve donc tous ses pouvoirs. Eris secoue la tête et son rire froid s'envole :

- Je hais ma lignée plus que tout pour ce qu'ils ont osé me faire et tu le sais. Et aujourd'hui, cette même lignée est libre. Parce que tu leur as ouvert la porte. Pour m'arrêter. Après tout, ça a fonctionné, je ne suis plus une menace pour le monde. Seulement, tu as échangé un danger pour un autre, plus grand encore.

- Explique toi.

- Les dieux vont venir te chercher Mélusine. Te traquer dans les moindres recoins de la Terre. Tu es celle qui leur a rendu leur liberté, mais tu es également celle qui peut les enfermer à nouveau. Tu es la clé de toutes choses. Tant que tu es en vie, il y aura toujours un risque pour qu'ils se retrouvent de nouveau privés de liberté. Poséidon, si tant est-il que vous vous retrouviez un jour, ne pourra rien pour toi. Si tu penses avoir souffert en m'affrontant, tu n'as encore rien vu.

Un rictus terrible étire ses lèvres. Ses mots résonnent dans mes oreilles tandis que les battements de mon cœurs s'accélère. Mon sang se glace dans mes veines quand je mesure la portée de ses paroles. Mais je ne peux croire le danger si grand. Voilà cinq ans que les dieux sont libres. Ils auraient déjà dû passer à l'attaque. La déesse secoue la tête, ayant visiblement lu dans mes pensés :

- Il leur fallait du temps pour récupérer leurs pouvoirs et leurs forces. Ils passeront à l'attaque.

- Pourquoi me préviens-tu ? Je t'ai expédiée ici, et je doute que tu ne sois de celles qui ne ressentent aucune rancune.

- Je t'ai dis, je suis prête à mettre mon aversion pour toi de côté, si cela me permet de me débarrasser de ma famille. Et puis, peut-être cela me rendra-t-il ma liberté... Mais peu importe pour le moment. Car si tu ne prêtes pas attention à mes paroles, le pire adviendra. Tu auras besoins de mon aide. Ou sinon ton humain mourra, tes sœurs se feront décimées, tout ce à quoi tu tiens sera détruit et si tu persistes encore, tu pourrais même perdre plus que ta vie.

- Je n'ai pas le temps de t'écouter Eris. je crache, tentant de cacher le fait que ses paroles me perturbent.

Son regard fou semble s'illuminer :

- Alors trouve le ! Trouve le temps Mélusine. Ou tu n'en auras plus. »

Le monde commence à se brouiller, la fumée qui recouvre le sol commence alors à s'élever, formant bientôt un mur entre moi et la déesse. Elle m'entoure et j'ai l'impression d'étouffer.

Et soudain, je m'éveille en plein milieu d'une grotte, sous métamorphose mystique. Un étrange fumée grisâtre entoure ma queue de serpent se dissipant lentement. Mes yeux s'arrondissent de terreur.
J'avise alors le trou qui mène à un tunnel aquatique. À bout de bras, je parviens à m'y glisser et je plonge dans l'eau glaciale, disparaissant vers les profondeurs. Si Eris dit vrai, les ennuis sont officiellement de retour pour moi.

Mélusine 2 - Maléfice DivinWhere stories live. Discover now