Gros Matou

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Litith était venue à la conclusion que dans les ruines de cette maison, l'hygiène se plaçait en bas de l'échelle. Cela faisait maintenant une heure qu'elle observait le chat des enfers chasser les coquerelles qui sortaient et entraient par la fenêtre aux vitres casées. Il les écrasait avec ses lourdes pattes très poilues, pour ensuite les lancer en l'air comme des balles de ping pong. Après le cinquième cadavre, Lilith arrêta de compter. 

Les yeux jaunes brillaient d'une lueur schizophréniquement inquiétante.

Lilith tenta de ne pas trop le fixer, il ne fallait pas empirer sa situation, et fit semblant de s'intéresser à la pièce, qui tout compte fait, dégageait un certain charme. C'était clairement un ancien bureau, un refinement masculin  se dégageait des calligraphies accrochées aux murs, des pinceaux déposés à coté du papier à moitié usé cohabitaient avec les pots d'encres séchées, et sur le babillard,  des très vieilles coupures de journaux qui relevaient des moments historiques du club. Elle pu suivre presque la chronologie des lieux;   le club lorsque ce n'était qu'une petite maison de thé dans un quartier dénué, puis à la fin des années 30, il prit de l'expansion et on construisit une deuxième maison qui devint le club tel qu'on le connait. Sur chaque photo des vieux yakuzas suivaient les aménagements. Elle repéra le visage de Yuba, une quinzaine d'années plus jeune, cheveux au rendez-vous, en compagnie d'un très ancien gaillard qui souriait à la caméra. Ce vieillard apparaissait sur diverses photos, chaque fois plus ridé mais toujours avec une posture digne. Lilith plissa les yeux, elle avait déjà vu cet homme. Elle revint sur le visage du vieux monsieur, puis sur les autres hommes qui l'entouraient lors d'une cérémonie de thé. 

L'homme était le même que sur la photo avec la petite fille! L'adolescente sauta de son siège, voulut s'approcher du babillard pour s'en assurer...

Gros Matou siffla, il venait d'écraser la tête de sa sixième victime. C'était le sifflement le plus perturbant qu'elle ait jamais entendu, comme celui d'un cobra malfamé.

Lilith retourna à sa place, bien décidée à y rester. Mais son esprit dansait. L'homme partageait une réelle ressemblance avec Yoko. Était-ce possible qu'il se fut agi d'un parent? La photo démontrait cinq messieurs entourés d'une jeune femme qui servait du thé. Avec un peu d'imagination, elle reconnu parmi eux, Goda, Asami et Atsuma, 50 ans plus jeunes, ils semblaient se détendre autour d'un jeu d'échec. Et chose étonnante la femme qui servait le thé n'était nulle autre que Veuve numéro 1! Elle l'avait presque pas reconnue, elle était presque jolie avec son tablier et sa figure menue, si grande et raffinée. 

Lilith fixa longuement la photo, la compara aux articles des journaux. A un moment donné, Goda avait dû être un client de ce bar, c'était évident, et la tenue de Veuve numéro 1 démontrait qu'elle était une membre intégrante de la maison. Qui était son père? Un homme important ou un serviteur du clan? Ou était-ce possible que ce fut ce gaillard?

La porte s'ouvrit  brusquement de nouveau et Yuba réapparut, il semblait contrarié.

- Lève-toi! fit-il en la prenant brusquement par le bras

- Où m'amenez-vous?

- C'est ton jour de chance, sucre d'or, sourit l'autre, près de la porte

C'était un homme encore plus repoussant avec sa chemise ouverte vulgairement.

Lilith n'aimait pas la tournure que prenait sa vie. Mais s'éloigner  du Matou l'Éventreur et son désir d'exterminer la civilisation insecticide, lui semblait une bonne option. Comme si l'animal avait lu ses pensées, il sauta par terre, en éructant sa bedaine trop pleine. Il les suivit dans l'escalier, se donnant de l'importance, sa lourde graisse balançait de gauche à droite comme une jupe au vent. Elle se demanda bien pourquoi il lui collait après, mais cela n'inquiéta pas les hommes qui l'ignorèrent.

La griffe de la panthère noireWhere stories live. Discover now