La griffe de la panthère noire

Petit déjeuner avec grand-père

Elle évita de regarder le boss qui lui faisait face, imposant dans son kimono blue marine, ses cheveux mouillés jetés vers l'arrière, mains sur ses genoux, dans une pose défiante. Les souvenirs de la veille résurgirent. Elle salua le Houda, dont le visage restait impaisible. Mais Lilith aurait pu être invisible pour le peu de cas que son arrière-grand-père faisait de sa présence. 

Il reprit sa discussion avec ses 2 fils, elle comprenait la moitié de ce qu'il disait, elle avait l'impression qu'il parlait intentionnellement en code. Asami se contentait de hocher la tête pour acquiescer à tout ce que le vieillard disait, tandis que le boss plaçait ci et là des commentaires judicieux. Autour de la table, des plats de kairé raisu côtoyaient des anguilles, des haricots de soya fermentés avec thé et du saké. Il lui semblait que c'était trop tôt pour boire. Mais sans doute les hommes avaient des goûts spécifiques.

Lilith se concentra sur son assiette, bouda un peu les anguilles sautées. Elle n'était pas certaine encore d'aimer déjeuner avec Goda, car la nourriture était plus étrange que lorsqu'elle mangeait à la cuisine. A ce rythme, elle risquait de perdre plus de poids que nécessaire. Il lui semblait aussi que le saké était servi un peu trop fréquemment, l'odeur lui soulevait le coeur.

- Yoko kun

Elle leva les yeux et s'aperçut que les trois hommes avaient arrêté de parler. Ils attendaient quelque chose d'elle. 

- Sers ton Houda, ordonna le boss, d'une voix métallique

Elle lui lança un regard surpris, à peine respectueux. Pourquoi devait-elle faire la tâche qui incombait aux domestiques? Il y avait un garde au coin de la pièce qui n'attendait que ça pour complaire à son maitre. Elle prit la théière et remplit la tasse du vieillard, fort consciente que ceux qui épiaient chaque geste, condamnaient son incompétence. Elle n'avait pas la grâce de Mme Soko pour verser lentement et mélodieusement le précieux liquide, et faire des gestes calculés et courts. C'est à peine si elle réussit à ne pas faire du bruit en déposant sa théière.

- Elle n'est pas prête, commenta Goda, la voix  sans émotion

- Trop jeune, ajouta Asami, désapprobateur, en avalant son saké

- Elle manque d'assurance, ajouta son frère. Et de maitrise de soi.

Lilith aimerait bien leur dire d'arrêter de parler d'elle comme d'une plante amochée. Elle reprit son assiette et mangea les anguilles, en cachant mal son déplaisir.

La conversation reprit. Ils se mirent à discuter sur un chargement qui arriverait bientôt, après le festival des 20 000 rats. Elle s'étouffa, prit de l'eau. Avait-elle bien entendu? On fêtait les sales rongeurs????🤤

Trois têtes la regardèrent sombrement, la température de la pièce voisina celle de l'antarctique.

- Va chercher une autre serviette, ordonna le boss sèchement

L'adolescente regarda les serviettes d'un blanc immaculé qui se trouvaient à 1 mètre derrière le boss, puis fixa ce dernier sans sciller. Elle se leva lentement, lèvres serrés, tout son corps tendu comme un arc. En silence, elle déposa la serviette près de l'assiette du boss avant de retourner à sa place. Il essuya sa bouche.

Lilith reprit sa baguette prête à assasiner le cadavre de son anguille.

- Débarrasse la table, Yoko, fit-il

Elle n'avait pas fini de manger! 

Lilith déposa ses baguettes très lentement, son coeur cognant furieusement sa poitrine. Tout était silence autour d'elle. Elle débarrassera la table, tête baissée, échappa accidentellement quelques morceau de riz par terre, déversa un peu de soya sur le pantalon immaculé de Goda, voulut réparer son méfait et, en ce faisant, versa le restant du thé sur la main d'Asami. Son oncle sauta prestement du sol comme si un serpent l'avait piqué, enveloppa sa main dans un tissu. Le calme monsieur à la mine sépulcrale laissa couler une rivière intarissable de frustration qui sonnaient comme un claquement de vaisselle. Lilith cligna les yeux, pu saisir quelques mots ci et là tellement le banquier parlait vite.