Chapitre 5 - Cours, Miracle

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Miracle courait à perdre haleine. Le souffle court, les jambes en feu, elle trébuchait et se heurtait aux longs arbres impassibles. Elle traversa les lits de fougères, les haies de ronces. Il faisait si noir qu'elle voyait à peine où poser les pieds. Mais elle devait courir, vite, et le plus loin possible.

Que s'était-il passé ? Elle revoyait l'atroce transformation du visage de Sonia, dans des craquements d'os, de chair et de tendons. Elle pensa avec horreur au faciès terrible du monstre, tout près du sien. Ses yeux inhumains dévorants de convoitise et de colère, ses mâchoires bardées de longs crocs effilés. Mais surtout, elle entendit les paroles que la créature avait prononcées.

Il est l'heure de te rendre à ton propriétaire... Tu ne me laisses pas le choix.

Mais que voulait-il bien dire ? Il, ou bien elle ? Son cerveau asphyxié n'en pouvait plus. Elle se sentit défaillir. Non, il fallait tenir bon. Le monstre était toujours là, quelque part.

Elle rassembla son énergie et continua sa folle course. Elle sauta les amas de branchages, bondit par-dessus les creux et les fossés, esquiva les troncs penchés et les branches basses. Mais le souffle lui manquait. Elle étouffait. Un point de côté lui lacèrait la clavicule droite, et la douleur devenait insupportable.

À bout de forces et d'oxygène, elle tenta de franchir une grosse branche, monta à califourchon, puis s'effondra de l'autre côté dans un creux, d'où elle se trouva incapable de se relever. Terrassée par le manque d'air, la fatigue et la terreur, elle serra les dents et laissa couler quelques sanglots au travers de sa main plaquée sur sa bouche.

Car la créature approchait, elle en était certaine.

Déchirée entre le besoin de respirer et l'impératif de rester silencieuse, Miracle bâillonna ses lèvres et inspira, haleta, étouffa, par les narines. La nuit l'enveloppait aussi sûrement qu'un fluide glacial. Seul le halo bleuté de sa montre lui confirmait qu'elle n'avait pas perdu la vue.

Pulsations à 165.
172.
168.

L'alarme vitale clignotait, assortie d'une deuxième alerte : No network.

« Bub, aide-moi ! » supplia Miracle dans un murmure haché de sanglots.

Mais son IA ne pouvait rien pour elle. La montre se trouvait hors de portée de son terminal, qui était tombé à terre, là-bas dans la forêt, lorsque le monstre l'avait plaquée contre l'arbre. Et ensuite ? Que s'était-il passé ? Comment avait-t-elle réussi à se libérer de la poigne acérée ? L'adolescente n'en avait plus le moindre souvenir. Sous son tapis de feuilles, elle fouilla dans sa poche et sortit la trousse d'urgence. La seringue n'avait pas souffert. Sans se poser davantage de questions, la jeune fille se piqua le bras et s'injecta la dose de médicament. Presque immédiatement, elle sentit son cœur se gonfler, le muscle se contracter, et enfin les battements se calmèrent un peu.

Tout de même, à un tel rythme cardiaque, elle aurait déjà dû perdre connaissance. Comme cette fois, l'année dernière, où cette bande de garçons l'avaient prise à part dans une ruelle de Nancy, près du lycée. Elle s'était retrouvée plaquée contre le mur, maintenue par de fermes poignes, alors que les insultes fusaient. L'une des brutes lui arracha la manche de sa chemise, pendant que les autres lui crachaient dessus et lui jetaient des cailloux. Elle se débattit, rua et frappa à l'aveugle, et se dégagea. Elle ne parcourut qu'une vingtaine de mètres avant de s'effondrer, inconsciente. Fort heureusement, elle avait atteint la rue principale, et Bub appela une ambulance qui la récupéra une dizaine de minutes plus tard. A l'hôpital, Jenovefa tenta en vain de la réconforter. Désiré la rejoignit plus tard dans la soirée, et déclara d'une voix froide et pleine de sous-entendus :

« C'est terminé. Ils ne t'ennuieront plus. »

Miracle ne retourna pas au lycée pendant presque neuf mois. Et quand elle y remit les pieds, il y avait tout juste six semaines, elle croisa le regard d'un de ses agresseurs. Le lycéen écarquilla les yeux et détourna la tête, comme s'il avait vu une revenante. Elle ne remercia jamais son père pour ce qu'il avait accompli, quelle que soit la méthode qu'il avait employée. De fait, elle n'osait imaginer par quel moyen Désiré avait retrouvé les petits délinquants, et les avait traumatisés à ce point. Il ne fallait pas sous-estimer la colère du chef N'Kanté. Mais valait-il mieux terrifier ses agresseurs, ou bien demeurer une éternelle victime ?

Babylon - Les Mondes de MiracleWhere stories live. Discover now