Chapitre 23 - Le plan

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La nuit n'était éclairée que de rares carrés de lumière projetés à travers les persiennes des chaumières encore éveillées à cette heure tardive. Hormis ces timides pointes de jaune, le ciel baignait dans un halo bleu et froid qui soulignait les contours des épais nuages d'où se déversait une pluie glaciale.

Miracle commençait à se sentir mouillée aux épaules et dans le dos. Elle frissonna sous son long manteau. La capuche relevée sur son crâne protégeait ses cheveux de l'humidité, mais les rafales d'eau n'épargnaient pas son visage découvert. Pour la première fois depuis son arrivée en Svata Zeme, elle respirait l'air du dehors sans cette affreuse toile sur la bouche, et la sensation s'avérait plus que vivifiante. Grisante, même. Elle se sentait l'âme d'une résistante, d'une combattante clandestine pour la liberté.

Au loin, la silhouette de l'église Saint Wenceslav se profilait sur le ciel nocturne, tel un navire fantôme en pleine tempête qu'elle allait tenter d'aborder pour en fouiller les cales, en voler le trésor gardé par des spectres malfaisants. Comme pour appuyer l'image produite par son imagination, un éclair fendit le ciel et embrasa les flèches de la nef gothique, véritables mâts aux voiles déchirées de ce vaisseau en perdition.

Le tonnerre gronda. Moniyah leva la truffe vers sa compagne et émit un gémissement.

« Tout va bien se passer, ma belle. » la rassura Miracle d'une caresse entre les oreilles. « C'est à toi de jouer, maintenant. On a besoin de toi pour flairer Lukas. » Elle écarta un pan de son manteau et laissa la louve renifler la taie d'oreiller tachée de sang imprégnée de l'odeur du captif. « Je compte sur toi. »

La pluie rendait le travail de pistage quasi-impossible, Miracle en avait bien conscience. Havel en prison, elle ne connaissait que Moniyah pour accomplir cette tâche. Sans cette étape, le reste du plan ne rimait à rien. C'est pour cette raison qu'elle avait suggéré, pendant la réunion de préparation de l'opération, de faire appel à son amie à quatre pattes. Faute d'une meilleure option, les garçons avaient approuvé, mais la métisse avait bien senti que personne n'y croyait. Ils avaient échafaudé la suite du plan sur cette base bancale et imaginaient certainement devoir trouver une solution alternative pour localiser Lukas. Lumir avait avancé l'idée d'une enquête de terrain, mais Freydjan avait objecté que les questions indiscrètes leur attireraient trop d'attention, et il avait souligné l'extrême fidélité des adorateurs du chaos, dont pas un ne trahirait son culte, y compris sous la torture. Mais l'idée était restée en suspens. Miracle entendait bien leur prouver que Moniyah était capable de les aider.

L'après-midi, elle s'était isolée dans sa chambre, avait ouvert son carnet de croquis et s'était concentrée sur son dessin de la louve au coin de la cheminée. Le temps passa et elle ne parvenait à rien. Au bout d'une heure, Freydjan toqua à la porte. Elle remit sa cagoule et le laissa entrer. Il comprit immédiatement ce qu'elle tentait d'accomplir.

« Comment pouvez-vous espérer établir le moindre contact sur une esquisse aussi médiocre ? s'écria-t-il en étudiant le croquis de la jeune fille. Ne me dites pas que ça a déjà fonctionné.

— Si, rétorqua-t-elle les joues rouges de honte, mais uniquement pendant que j'étais en train de dessiner. Vous croyez que je devrais recommencer un dessin ?

— Sans modèle sous les yeux ? Autant essayer de peindre la Joconde avec les pieds. Non, il vous faudrait une esquisse de bien meilleure qualité. »

Le Blême se lança dans une critique au vitriol de la production artistique de Miracle qui, selon lui, manquait de nuance, de profondeur, d'ombrages et de lumière, ainsi que d'un peu de perspective.

« Mais pour un début c'est pas mal, conclut-il. Je vais vous montrer à quoi ressemble une esquisse digne de ce nom. »

Il fouilla dans sa poche de pantalon et en sortit un étui nacré. Il l'ouvrit et en tira un genre de carte de tarot. Miracle prit délicatement l'objet entre ses doigts. Elle pressentait un travail qu'une qualité exceptionnelle. Le premier coup d'œil confirma son impression. Le trait était d'une finesse telle que le dessin paraissait plus précis encore qu'une photo. Un homme était représenté, dans un costume étrange qui faisait penser à la Grèce antique. Vêtu d'une toge sombre brodée de motifs en fil d'argent, chaussé de bottes de cuir souple, les épaules ceintes d'une cape vermeil qui flottait dans une tranquille brise, une rapière à la ceinture, Freydjan se tenait devant une tapisserie représentant une scène de chasse. Les moindres détails du visage, de la tenue et du décor apparaissaient clairement, à tel point que Miracle se demanda comment un artiste avait pu produire un tel prodige sur un si petit bout de carton.

Babylon - Les Mondes de MiracleTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang