Babylon - Les Mondes de Miracle

Chapitre 22 - Expressionnisme

Miracle eut un mouvement de recul et darda un regard défiant vers l'homme aux yeux perçants. Il s'empressa de la tranquilliser d'un geste de la main.

« N'ayez crainte, je désire simplement éclaircir avec vous certains points. Je maintiens tout ce que j'ai déclaré en présence de vos compagnons. Je vous assisterai de mon mieux dans votre entreprise de délivrance de votre ami. Toutefois, il y a un ensemble d'éléments dont j'estime qu'ils ne concernent que vous et moi. Vous êtes d'accord ? »

Elle lui rendit un timide oui de la tête.

« Excellent. » commenta-t-il en s'installant plus à son aise au fond de son fauteuil. Il sortit un étui de son gilet, l'ouvrit avec précaution et en tira un cigarillo. « Vous permettez ? » Comme elle ne lui signifia pas son opposition à sa manie du tabagisme, il gratta une allumette et tira une longue bouffée, puis expira un épais nuage. La fumée blanche flotta au-dessus de lui comme une série de questions.

« Il est certes fâcheux que le remède à votre aphasie nous parvienne trop tard, cependant vous n'aurez qu'à confirmer ou réfuter les suppositions que je vais vous énoncer. Est-ce que cela vous convient ? »

Miracle consentit à ce petit jeu, car elle se rassurait de savoir qu'il lui suffisait de réveiller Lumir pour mettre fin à la conversation.

« Fort bien. Pour commencer, laissez-moi vous exposer les raisons de ma présence dans ce monde. Le fait est que j'ai été envoyé à votre recherche. Oh, ne vous effrayez pas. Nous ne connaissons même pas votre identité. Vous devez savoir que je travaille un peu malgré moi pour ce que les personnes illuminées nomment le Trône d'Ether. Disons qu'il s'agit d'une autocratie menée par une dynastie très ancienne et qui a la mainmise sur une bonne moitié des mondes connus, que nous appelons Ombres. J'ai quelques liens de parenté éloignés avec le pouvoir en place, mais mon importance au sein de la lignée est insignifiante. Vous comprendrez donc que ma loyauté n'est que pure façade. Depuis un temps bien trop long à mon goût, et à la suite d'un incident de parcours sur lequel je ne m'étendrai pas, j'ai dû me résoudre à jouer le chien-chien obéissant, dans le but d'endormir les soupçons de certains gêneurs. Vous me suivez, jusqu'ici ? »

La jeune fille ne comprenait pas le but de ce préambule, mais elle acquiesça pour lui permettre de continuer.

« Lorsque j'ai eu vent d'un ordre d'enquête au sujet de perturbations dans la trame des Ombres sur Svata Zeme, mon intérêt a été piqué. Sans doute en raison de mon histoire personnelle un peu mouvementée dans ce monde. Mais il n'y avait pas que cela. Je suis bien placé pour savoir que les derniers sorciers compétents de ce monde sont morts et enterrés depuis longtemps. Je me suis donc porté volontaire pour retrouver l'origine de ce trouble. Et c'est ainsi que je vous ai trouvée. »

Il laissa sa dernière phrase en suspens, comme pour insinuer qu'il y avait davantage à dire sur ce sujet. Pourtant, il poursuivit sans s'étendre sur les fameux "détails" dont Miracle sentait qu'ils n'étaient pas si insignifiants qu'il le laissait penser.

« Pour être clair, mon allégeance à Ether exigerait de vous éliminer purement et simplement sans autre forme de procès. C'est le châtiment réservé par le Trône à celles et ceux qui perturbent indûment le cours de l'univers. Je vous rassure, je ne compte pas obéir. Vous me semblez une personne fort intéressante, et il serait dommage de priver le monde de votre délicieuse compagnie. Ce qui m'amène à ma première supposition. Je vous vois en compagnie d'un Chasseur de l'Ordre, celui qui s'est fait arrêter, et de deux jeunes gens qui doivent être des disciples. Vous avez donc un lien avec Désiré. »

Miracle ne réagit pas à cette remarque et le laissa continuer.

« Vous n'êtes pas faite de la même étoffe, pourtant. Vous parlez le français couramment et ... » Il désigna du menton la tasse de café vide entre les mains de la jeune fille. « ... vous connaissez des mets que l'on ne trouve pas en ce monde. J'en déduis que vous êtes terrienne. Ai-je raison ? »