19e épisode : Les taxi-tigui

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"Pssst taxi-tigui ! Direction cimetière" ce sont les mots que je ne me souviens pas avoir prononcé

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"Pssst taxi-tigui ! Direction cimetière" ce sont les mots que je ne me souviens pas avoir prononcé. Pourtant, c'est le sentiment que j'ai eu en entrant dans le véhicule. Kanté, lors de notre première conversation, avait l'air saoul. Je dirais même drogué. Ses yeux rouges et ses dreads lui donnaient un air de rasta défoncé.

Mais cela faisait une heure que je cherchais un taxi dans l'ACI 2000. À partir d'une certaine heure, on en trouve que très rarement. Pourtant il est très dangereux de se déplacer seul, quand on a l'air d'un touriste. Chaque personne qui passait à côté ou semblait suivre le même chemin que moi faisait l'objet de mon attention toute particulière.

Quelques jours plus tôt dans mon quartier plusieurs personnes s'étaient fait braquer en plein jour après avoir retiré de l'argent. La brigade spéciale détachée pour éviter ce genre d'événement était sûrement occupée à arrêter des voitures pour leur taxer de l'argent.

Bref, quand j'ai arrêté le taxi, trois jeunes hommes pensaient avoir trouvé leur moyen de transport. Nous avons négocié sur la personne qui l'avait vu en premier mais je n'ai rien lâché. En temps normal j'aurais abandonné mais j'avais bien trop peur de rester encore un moment seul dehors. Une minute de plus et je rentrais chez moi. Je me suis donc affirmé et suis monté à bord du taxi fou.

Il ne disait pas un mot. Il était penché sur le volant et essayait de remettre correctement son klaxon. Ce dernier s'activait tout seul et faisait un de ces vacarmes. Il me regardait de temps en temps pour voir ce que je faisais. Le bruit de son moteur m'inquiétait plus que sa conduite et ses yeux rouges.

J'ai voulu mettre ma ceinture. D'habitude le taximan m'aurait dit "Ah patron, il vaut mieux oublier la ceinture. Elle doit être pleine de poussière, tu vas te salir.". Mais il m'a juste fixé pendant que j'essayais de tirer la ceinture invisible. Quand j'ai compris qu'il n'y en avait pas, je me suis accroché à la poignée du haut de la porte.

J'ai alors sorti mon portable pour utiliser le GPS. Je connaissais le chemin mais je voulais me rassurer sur l'itinéraire emprunté. Ici les taximen conduisent sans Maps ou Waze. Il y a quelques années je croyais que c'était parce qu'il n'y avait pas de noms de rues comme en Europe. Cependant j'ai découvert qu'il y avait des noms et des numéros de rues (comme dans chaque ville qui se respecte). Les Bamakois ne les connaissent juste pas, à part les policiers j'imagine (et encore).

Pour se déplacer on utilise des repères pour situer approximativement le lieu d'arrivée. On indiquera ainsi les ronds-points-places connus comme Bougie Ba ou la Tour de l'Afrique. Les lieux fréquentés comme le cinéma Babemba, les restaurants comme le Relax ou les commerces connus comme Tonino Market. Parfois, on utilise même le lieu de résidence d'hommes riches ou d'artistes connus. Par exemple, la résidence de notre ancien président IBK, constitue un repère qui est même géolocalisé sur Maps. Un cousin vivant à Dakar m'a dit un jour qu'on pouvait organiser un cambriolage en repérant les lieux grâce à l'application 😂.

Ces repères permettent donc au taxi d'estimer un prix qui varie en fonction de la distance, de l'heure et des probables embouteillages. Bien souvent, le prix qu'ils donnent en premier lieu sera supérieur au tarif en vigueur. Le taximan regarde la tête du client et estime que les gens qui prennent le taxi ont les moyens, sinon ils prennent le sotrama. Vous l'aurez compris, avec mon air de touriste, on me donne souvent des prix trop élevés.

Donc avant de me déplacer, je demande toujours une estimation à ma famille ou à mes amis. En ayant l'info en tête, la négo devient plus simple. Même si vous n'arriverez pas toujours au juste prix, vous éviterez de payer 10k pour une course qui en vaut 3k (histoire entendue auprès d'une connaissance). J'ai d'ailleurs appris aujourd'hui même qu'il existait des tarifs fixés par le gouvernement en fonction de la distance, encore une découverte surprenante !

Les locaux ont pour habitude de dire que les taxi-tigui ne sont pas sérieux du fait de leur conduite de cascadeur, leur équipement auto parfois bancal et la tendance de certains à arnaquer. Mais moi, j'ai souvent de très bonnes conversations avec eux. J'en apprends beaucoup sur la population et les difficultés qu'elle rencontre, les rumeurs ou encore les raisons de leur incrédulité sur certains sujets (politique, covid, conflits etc). Si vous voulez en apprendre plus sur un pays, interrogez plusieurs taxis ! Je pense que c'est aussi valable à Paris.

On reconnaît les taxis à leur couleur jaune et leur plaque rouge. Il est possible d'en trouver à toute heure et selon la fréquentation des lieux. Généralement pour les heures matinales/tardives il faudra marcher un peu pour essayer d'en intercepter un au bord de la route.

Ah, oui, le taxi dans lequel je suis monté. Finalement il s'est avéré être très sympathique 🤷🏾‍♂️ Il s'inquiétait de me voir sortir seul et m'a donné quelques conseils pour éviter les problèmes liés à l'insécurité à Bamako. Il faut faire attention en ce moment !

Le Touriste du Dimanche - Journal De BordWhere stories live. Discover now