Naufragés

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Ils cherchent le salut, la chance
Ici ou là bas qu'elle importance ?
Ils veulent juste être autre part
Échapper à ce cauchemar

Ils fuient la guerre
La dictature ou la misère
Et ils prient, et ils espèrent
Trouver une nouvelle terre

Le chemin est si long, si périlleux
Si difficile, si dangereux
Des jours entiers sous le soleil tapant
Puis des nuits dans un froid mordant

Ces gens là ont dans les yeux
La lassitude, la peur, le feux
Ces gens là ont dans le coeur
L'amour, l'espoir et la terreur

Ils n'ont que leur foi
Ni argent, ni bagage
Ils marchent tout droit
En espérant prendre le large

Ils traversent des déserts
De sable brûlant
Ils traversent la mer
Jusqu'au bout des océans

Ni sommeil, ni repos
Ici on ne dort que quelques heures
Confiant leurs vies aux escrocs
Aux charlatans et aux passeurs

Ils entassent dans un sac leur vie entière
Partent pour une épopée, aventure meurtrière
Accompagné par le chant angoissant
De langues inconnues, au drôle d'accent

Le ciel se remplit de nuages
Comme un mauvais présage
Les amis de ces voyages
Ne sont toujours que de passage

Et ils avancent la tête basse
Dans la boue, dans la mélasse
Plus de nom et plus de vie
Anonyme d'entre deux pays

Quand ils ont un instant de répit
Ils se posent et ils s'oublient
Certains rêvent, d'autres prient
Les mêmes cauchemars hantent leurs nuits

Ils n'ont que les souvenirs d'une demeure
Qu'ils ont fuit et délaissée
Ils n'ont que leurs doutes, leurs peurs
Et la mélancolie d'une vie passée

Et ils dessinent des horizons
Là où tous ne voient que des frontières
Pour échapper à cette prison,
Ils attendent et ils espèrent

Entre angoisse et faim,
Soif, maladie, froid, et chagrin
Les mains tendues, les visages creux
Déjà un peu morts au fond des yeux

Et quand enfin, tout semble s'éclaircir
Les vagues viennent assombrir
Ce bout de ciel bleu plein d'avenir

Trop nombreux sur ce bateau
Ce pauvre petit bout de radeau
Partie à la recherche de l'Eldorado
Seuls les cris répondent en échos

Ils ont tous déjà compris
Qu'ils n'atteindraient pas la rive
Mais dans un ultime instinct de survie
Ils s'accrochent, ils veulent vivre

Ils luttent pour cette terre
Qu'on leur avait promis
Ils ont traversé un enfer
Pour la conquête d'un paradis

Moi tout cela, je ne le vivrai jamais
Et j'en crève de honte et de rage
Je suis à l'abri, privilégiée,
Et quand je regarde au large

Mes yeux se voilent
Pour un voyage que je n'ai jamais fait
Pour un bateau sans voile
Qui n'a jamais débarqué

Je n'ai ni leur vécu, ni leur culture
Ni leur peine, ni leurs blessures
Mais à tous ceux qui sont arrivés à bon port,
Qui ont vu sur ces terres nouvelles se lever l'aurore,

Racontez moi vos histoires,
Même dans une autre langue
Je devinerai dans vos regard
Ce que je ne pourrai pas comprendre

Pour le meilleur ou pour le pire,
Vous êtes enfin là,
Je voulez simplement vous écrire
Qu'on ne vous oublie pas.

Feuille BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant