Chapitre 112 : La créature des nuages

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 Penchées au bord de la falaise, les deux sœurs observaient l'ombre qui se mouvait dans les nuages. Quoi que ce soit, elle ne cessait de faire des allers-retours et ne s'éloignait que très peu du bord. L'ombre grossissait parfois, signe qu'elle montait, ou disparaissait totalement, mais revenait toujours faire son balai à quelques mètres de la falaise.

— C'est quoi à ton avis ? Demanda Elyazra.

— Je ne sais pas. Ils ont des dragons ici ? En tout cas, sa trajectoire a quelque chose d'hypnotisant, répondit Syara en remarquant que sa queue invisible se balançait de droite à gauche au même rythme que l'ombre.

— Non, ça n'a pas l'air d'être un dragon... Un gros oiseau peut-être ?

— Aussi gros que ça ?

— Chez nous on a bien des lézards volants tout aussi gros, alors pourquoi pas ?

Elle marquait un point. Malgré tout, l'appellation lézard volant n'était sans doute pas le meilleur terme à employer, surtout quand l'une des représentantes de cette espèce était présente à quelques mètres d'elles et qu'il devait s'agir pour elle d'une insulte. Cette couche de nuage était frustrante ! Cette créature ne pouvait-elle pas sortir pour qu'elles voient de quoi il était question ?

— Dis petite sœur... À ton avis, ça a quel goût le piaf géant ?

— Je ne sais pas... Un goût de poulet ?

— Du poulet ?! Tu n'as vraiment aucune imagination ! Moi je verrais plutôt ça comme quelque chose de bien plus fort en bouche. Bien plus ferme aussi, du genre à devoir l'attaquer à pleine dent pour avoir une chance de détacher la viande de l'os.

L'une perdue dans sa description et l'autre distraite et commençant à saliver à l'idée de se faire une cuisse de piaf géant, les deux sœurs revinrent à elles en sentant quelque chose leur agripper l'arrière du col et les tirer en arrière. Elles savaient qu'il ne s'agissait pas d'un agresseur, mais d'Elirielle... Quoi que... Peut-être n'avait-elle pas apprécié de se faire appeler lézard géant et qu'elles allaient passer un sale quart d'heure. Le terme agresseur n'était donc finalement pas si mal trouvé que cela.

Sur ce point-là, Syara se trompait. La dragonne arborait certes un air sérieux, mais nullement réprobateur et son geste de les tirer en arrière n'avait nullement comme origine les mots d'Elyazra à l'encontre de son espèce. Non, si elle avait fait cela, c'était uniquement pour les protéger.

À peine un instant après les avoir écartées du bord de la falaise, deux entités jaillirent à l'endroit où elles s'étaient trouvées et montèrent dans le ciel. Si la première, de taille humaine, ne leur aurait pas fait grand-chose, l'autre, absolument gigantesque, les aurait faites tomber à coup sûr dans le précipice.

— C'est bien un oiseau géant ! S'exclama la demie-dragonne en se relevant, nullement effrayée par le monstre au plumage noir de jais qui tournait au-dessus de leur tête. Occupe-toi du feu, moi je me charge de le ramener par terre. On va s'en mettre plein la panse !

— Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que nous aurions eu plus de chance de réussir la mission en ne partant que tous les deux ? Se désola Elirielle auprès d'Orélius.

— Ça n'est pas faute de ne pas avoir prévenu, rit le fils de Shay, habitué à ce genre de comportement.

— Dis Ely, ça ne serait pas un ange que cet oiseau est en train de poursuivre ? Crut remarquer Syara en plissant les yeux.

— Tu as raison... Je vais le dégommer aussi, annonça-t-elle en tendant ses deux bras vers ses cibles, une boule de feu noir apparaissant dans le creux de ses paumes.

Paniquée, la violoniste ne trouva qu'un seul moyen efficace de l'arrêter et lui sauta dessus pour la plaquer au sol. Si elle lui avait fait remarquer que l'oiseau était à la poursuite d'un ange, ça n'était certainement pas pour qu'elle l'abatte lui aussi !

— Mais quoi ?!

— Ne fais pas ça, vu sa taille, ça n'est qu'un gamin !

— Toi et les gosses, c'est toujours la même chose, souffla Elyazra. C'est vraiment plus fort que toi, tu ne peux pas t'en empêcher !

Si les paroles de sa sœur faisaient étrangement écho à celles de l'ombre de son violon, Syara trouvait tout de même injuste que ce soit ça qui ressorte alors qu'il s'agissait d'un argument parmi tant d'autres qui pouvait justifier de ne pas tuer cet ange. Bon, il s'agissait aussi du seul argument qu'elle lui avait donné, mais tout de même !

— Ça va être quoi ce voyage avec toi ? Dès que tu vas voir un ange, tu vas le tuer ? Tu comptes faire un génocide sans même penser une seule seconde qu'ils ne sont peut-être pas tous comme notre mère ?

— Ça n'a rien à voir, c'est toi qui me précises que c'est un ange qui se fait poursuivre ! Je croyais que tu voulais justement que je l'abatte lui aussi ! C'est toi qui n'es pas clair dans tes consignes !

— L'oiseau rattrape l'ange, s'horrifia Phi.

— Je disais juste ça comme ça ! Si je te montre un lapin, tu vas le zigouiller aussi ?

— Évidemment ! C'est super bon le lapin !

— Il est presque sur lui, paniqua la fée.

— Et puis c'est toi qui m'as mis cette idée de tuer ce truc en me faisant saliver !

— Ça va être de ma faute en plus ?! Alors je fais quoi ? Je le descends ou pas ?

— Il va le dévorer ! Hurla Phi en se cachant les yeux.

— Évidemment que tu le descends !

Tout en gardant un regard furieux rivé droit dans les yeux de sa sœur, Elyazra tendit son bras en direction de l'oiseau et projeta un trait de flamme noir qui heurta violemment la créature un instant avant qu'elle ne referme son bec sur sa proie. Ce coup avait été assez puissant pour que l'ange échappe à la mort et batte frénétiquement des ailes pour s'éloigner.

Le feu noir sur les plumes de l'oiseau se voyait peu, mais sa trajectoire en spirale descendante et ses hurlements stridents montraient bien qu'il avait été touché et que son aile brûlait. Après plusieurs tours, la bête passa juste au-dessus de leur tête et plongea de la falaise pour disparaître dans les nuages.

— Et voilà ! À cause de toi, j'ai mal visé et notre déjeuner vient de se casser la gueule hors de portée ! Râla Elyazra en roulant des yeux.  

Le violon de cristal : l'autre mondeWhere stories live. Discover now