Chapitre 133 : Mobilisation forcée

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 De la même manière qu'il n'y avait pas de route sur l'île céleste du baron, aucun aménagement ne permettait de traverser la forêt de cette nouvelle île. Y progresser était donc parfois simple, mais bien souvent plus compliqué à cause de nombreux ronciers qui bloquaient totalement le passage et les forçaient à faire des détours. Plusieurs fois, ceux venus de l'autre monde, peu habitués à avoir des ailes dans le dos, s'accrochèrent aux épines en passant un peu trop près de l'un d'eux.

S'ils ne ressentaient absolument rien, la grimace involontaire que faisait Élane lorsqu'il voyait ça montrait que ce devait être quelque chose de douloureux. Ils avaient beau lui rappeler qu'ils n'avaient pas d'ailes et que cela revenait pour eux à s'accrocher un vêtement, il ne pouvait s'empêcher de s'imaginer être à leur place.

De tous les faux anges, Phi était celle qui s'en sortait le mieux. La fée avait beau être la plus maladroite du groupe, elle était aussi bien plus habituée à avoir des ailes dans le dos et avait parfaitement conscience de la place qu'elles prenaient.

Après un énième détour, l'exaspération finit par les gagner et l'idée de passer à travers en utilisant la magie leur traversa l'esprit. Ils ne voulaient malgré tout pas laisser de trace de leur passage, ce qui réduisait les possibilités. Elyazra et Orélius furent d'emblée exclus des possibilités vu que leurs pouvoirs étaient purement destructeurs. Les demis-dragons pouvaient bien user de leurs téléportations, mais il leur était impossible d'emmener autant de monde avec eux.

Élane se retira lui aussi des possibilités. Lui pouvait embarquer tout le monde dans ses failles, mais le monde en noir et blanc à l'intérieur était le même qu'à l'extérieur, si bien qu'un chemin bloqué par des ronces d'un côté le serait aussi de l'autre.

Phi pouvait ériger un bouclier autour d'eux et tenta même l'expérience, mais les ronces étaient bien trop nombreuses et offrirent une trop grande résistance pour qu'elle puisse les traverser. Elirielle, de son côté, ne trouva pas non plus de sorts lui permettant de créer un passage.

Il ne restait donc plus que Syara qui, elle, avait bel et bien la technique adéquate pour écarter les plantes. Elle abandonna cependant cette idée de peur de se faire remarquer. De tout le groupe, elle était celle qui devait vraiment utiliser ses pouvoirs en tout dernier recourt. Si quelqu'un la voyait utiliser son violon, leur couverture tomberait instantanément.

Ayant fait le tour de tout le monde, le groupe se résigna à continuer les détours pour progresser dans la forêt. Après plusieurs heures, cela sembla tout de même s'arranger. Les obstacles se firent de plus en plus rares, la forêt ayant l'air d'être entretenue à cet endroit. D'après Élane, la raison était simple. Ils approchaient d'un village.

Et effectivement, après un bon quart d'heure de marche supplémentaire, les arbres cédèrent leur place à une grande clairière abritant un hameau. Dans leur monde, la différence entre les bâtiments des grandes villes et ceux des villages était flagrante, comme s'ils venaient de deux époques différentes. Ici, il n'en était rien. Les habitations étaient les mêmes, bien que plus petites, que celles qu'ils avaient pu voir jusque-là.

Au premier abord, ce village semblait totalement désert, conséquence de la mobilisation forcée dont avait parlé leur guide. Des cris vinrent cependant briser cette impression de vide. Sans même réfléchir ou se concerter, tout le groupe se précipita dans la direction des cris et tombèrent, au détour d'une rue, sur quatre anges en armure qui encerclaient un homme et une femme.

— Je vous en prie, laissez-nous du temps ! Implora-t-elle. Mon fils n'a reçu son arme qu'hier, il ne connaît même pas la nature de ses pouvoirs !

— Tout adulte en âge de se battre et sans raison valable de rester en arrière est sujet à mobilisation. Votre fils est adulte depuis hier et vous n'avez plus à vous occuper de votre enfant, la mobilisation s'applique donc à vous deux.

— Élane, ôte-moi d'un doute, murmura Syara. La maîtrise des pouvoirs n'est pas instinctive, si ?

— Loin de là, répondit l'ange. Il faut au moins trois ans pour en avoir une maîtrise convenable, sans parler de l'entraînement purement physique pour s'approprier l'arme invoquée. Si cette personne a fait sa cérémonie de passage à l'âge adulte hier, alors il sera plus un poids qu'autre chose sur le champ de bataille. À mon avis, s'ils font ça, c'est surtout qu'ils cherchent une excuse pour recruter la mère.

En plus de ceux impliqués dans la scène, quelques personnes étaient rassemblées pour y assister. Des femmes dans la grande majorité ainsi que quelques personnes âgées. L'expression sur leur visage disait clairement qu'ils ne voulaient pas que la mère et l'enfant soient emportés, mais aucun n'osait s'interposer.

— On fait quoi ? Demanda Elyazra.

— Ça me fait mal de le dire, mais il vaut mieux rester discret, répondit le fils du baron en serrant les poings.

— Tien donc, qu'avons-nous là ? Vous étiez partis vous cacher dans la forêt pour échapper à l'appel aux armes ? Pas de chance, vous êtes revenus trop tôt.

— Et maintenant, on fait quoi ? Questionna de nouveau la demie-dragonne.

— Nous ne cherchions pas à nous cacher, s'avança immédiatement Elirielle. Nous ne sommes que de passage ici, aucun d'entre nous n'étant apte à la mobilisation.

— Vous m'en direz tant ! Et quelles sont les raisons de cette inaptitude ?

— Je dois m'occuper de ma fille, répondit la dragonne en montrant Phi.

— Et les autres ?

— Lui doit s'occuper de sa sœur blessée, continua-t-elle en présentant Orélius et Elyazra qui se tourna pour montrer son aile avant de se tourner vers Syara. Quant à elle...

— Elle est enceinte ! S'exclama la demie-dragonne avant de pointer du doigt Élane. De lui !

Si la situation exigeait qu'elle reste impassible, Syara fulminait de l'intérieur. Cette réponse était sortie bien trop naturellement pour que sa sœur y ait pensé à l'instant. Elle devait avoir réfléchi à une telle situation et à l'excuse qu'elle allait sortir. Sa vengeance serait terrible.

— Et lui ? Questionna le soldat en pointant le soi-disant futur père.

— Il est le fils du baron Voklan, répondit Elirielle, n'ayant cette fois-ci pas besoin de mentir. À ce titre, il est rattaché à des terres qui ne sont pas encore sous le coup de la mobilisation. Il en est d'ailleurs de même pour nous tous en plus des raisons précédentes.

— Le fils du baron ? S'esclaffa le recruteur. On m'a déjà sorti plusieurs fois l'excuse de venir de ces terres de lâche, mais de là à prétendre faire partie de la grande famille, c'est une première ! Vous allez tous me suivre, nous allons vérifier vos excuses pitoyables.

— Tu as un moyen de prouver ton identité ? Questionna Orélius à l'intention d'Élane.

— Oui, mais je n'ai pas tellement envie de prouver quoi que ce soit à cette personne, répondit l'ange tout en jetant un regard noir aux soldats. Pardonnez-moi d'avance, mais je n'ai vraiment pas envie de discuter avec ce genre de personne qui s'est arrangée pour devenir recruteur et être à l'abri pendant qu'il désigne qui envoyer à la mort.

— Pourquoi tu t'excuses ? Tu viens de dire exactement ce que je voulais entendre, sourit la demie-dragonne en faisant craquer ses phalanges. Je sens qu'on va bien s'amuser aujourd'hui !

Le violon de cristal : l'autre mondeWhere stories live. Discover now