Chapitre 139 : La forêt en musique

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 À l'écart des autres, Syara était partie à la recherche d'un endroit calme pour prendre quelques instants pour elle. Si Elyazra avait une addiction certaine pour les boissons alcoolisées et se sortait étonnamment bien de sa privation forcée, sa sœur, elle, avait plus de mal à lutter contre sa propre addiction.

La musique n'était pas qu'une passion, mais une part entière d'elle-même. Depuis qu'elle avait pénétré dans le monde des anges, elle n'avait pu que toucher une harpe et jouer quelques notes sur son violon. Tout ceci était bien trop insuffisant à son goût. Rien que ne pas pouvoir jouer l'ode à la lune qu'elle avait écrite en une nuit chez le baron était un véritable supplice. Elle avait besoin de sa dose de musique et ce moment entre le réveil de tout le monde et leur départ était parfait pour qu'elle s'adonne à son activité préférée.

Son violon à la main, elle hésita un instant à suivre les partitions qu'elle avait écrites et qui lui avaient valu une presque nuit blanche, mais elle sentait que l'atmosphère générale ne s'accordait pas avec cette mélodie. Elle posa donc l'instrument sur son épaule et ferma les yeux pour se laisser guider par ce qu'elle ressentait.

Les premières notes sonnèrent en réponse au chant des oiseaux qui s'éveillaient et s'égosillaient dans les arbres. Son but étant de dépeindre en musique ce qui l'entourait sans qu'elle-même ne puisse le voir, elle ajouta à son chant d'oiseau de la complexité qui devait traduire les multiples senteurs qui composaient l'odeur si caractéristique de sous-bois.

Vinrent ensuite une alternance, une dualité entre les aigus et les graves qui se répondaient autant qu'ils se complétaient et se mélangeaient. L'un représentait la fraîcheur du sol provoquée par la rosée matinale ainsi que l'ombre du plafond végétal qui la surplombait. L'autre faisait référence aux rayons du soleil qui arrivaient à percer entre les feuilles et qui apportaient une douce chaleur.

En tant qu'habitante d'un monde qui n'avait pas vu l'astre solaire depuis des centaines d'années, elle ne pouvait s'empêcher d'accentuer cette partie pour qu'elle fasse jeu égal avec la fraîcheur là où un habitant de ce monde-ci n'en aurait fait qu'une composante mineure de sa mélodie.

Ça y est, elle y était. Même avec les yeux clos, elle voyait parfaitement l'environnement dans lequel elle se trouvait. Certes, les arbres ne se trouvaient peut-être pas au même endroit et certains détails différaient, mais sa musique avait tout de même recréé pour elle une forêt similaire dans son esprit.

Bien qu'elle aurait pu rester des heures ainsi à faire varier sa mélodie en même temps que la forêt se réchauffait, que les ombres se déplaçaient et que les oiseaux s'en allaient ou arrivaient pour se joindre à elle, la beast se montra raisonnable et paracheva sa mélodie par une dernière envolée.

Lorsqu'elle sépara l'archet des cordes, le violon se tut et Syara eut l'impression d'être plongée dans un étrange silence, presque angoissant à ses oreilles. Ça n'était pourtant pas le cas. Il y avait toujours le bruissement des feuilles et les oiseaux chantaient plus fort que lorsqu'elle avait commencé, mais il lui semblait à présent qu'il manquait quelque chose.

En ouvrant les yeux, elle remarqua avec soulagement qu'elle n'avait lancé aucun sort pendant cet état de transe. La violoniste maîtrisait de mieux en mieux son instrument lié et pouvait s'en servir comme d'un simple violon sans provoquer de manifestations de ses pouvoirs.

Toujours en pleine redescente sur le monde réel, Syara sursauta lorsqu'elle entendit des applaudissements derrière elle. Elle ne s'attendait certainement pas à avoir un public et s'était même permise de jouer ainsi parce qu'elle savait que cette forêt était presque déserte.

En se retournant, elle fut rassurée de voir qu'il s'agissait d'Élane et non d'un inconnu. L'ange arborait un large sourire et montrait bien que la prestation lui avait beaucoup plu.

— C'était absolument magnifique, souffla-t-il.

— Tu es là depuis longtemps ? Questionna-t-elle sans aucun reproche dans la voix, uniquement par curiosité.

— Je t'ai vu t'éloigner sans dire un mot. Je pensais que c'était pour une tout autre chose, mais vu que tu tardais à venir, j'ai posé la question à ta sœur qui m'a proposé d'aller voir par moi-même.

— Une tout autre chose ? Quoi donc ?

En réalité, Syara savait parfaitement à quoi il faisait référence en disant cela. Il y avait bien un besoin évident dont la décence impliquait de s'éloigner. Le voir être embarrassé par cette question et bafouiller plutôt que de répondre fit rire la beast qui le voyait réagir exactement comme elle l'avait prévu.

— Qu'as-tu pensé de ma petite improvisation ? Demanda-t-elle pour changer de sujet et le libérer de son embarras.

— Parce que c'était une improvisation ? S'exclama-t-il, stupéfait. J'ai eu l'occasion d'entendre de nombreux musiciens se produire chez moi, mais jamais je n'avais ressenti de telles choses en les écoutant. En fait, il n'y avait que ma mère accompagnée de sa harpe qui arrivait à me provoquer de telles émotions.

Syara s'imaginait aisément les musiciens dont il parlait se produire lors de réceptions. Là musique n'était, dans ces conditions, pas l'élément central, mais devait au contraire se fondre dans un tout pour créer une ambiance, habiller discrètement quelque chose qui paraîtrait triste sans eux, mais dont personne ne faisait véritablement attention. Les exercices étaient donc parfaitement opposés et, si elle avait joué de la même manière pendant une réception, il y aurait eu une chance sur deux que le maître des lieux ne vienne la voir pour lui dire de se calmer un peu.

Ne voulant pas entrer dans ce genre d'explications qui aurait entaché ce moment, la beast se contenta de remercier son auditeur. Ne sachant pas quand elle pourrait réitérer l'expérience, Syara savoura les derniers instants de ce moment dont la présence d'Élane n'avait en rien entaché la beauté et avait même été une bonne surprise.

Tous deux retournèrent donc jusqu'au camp sans échanger le moindre mot. La violoniste s'amusa en silence de l'attitude de l'ange qui, visiblement impacté par sa mélodie, en sifflotait quelques passages.

— Alors, tu l'as retrouvée ? C'est bon, elle a fini de pisser ? Demanda haut et fort Elyazra en les voyant approcher.

— Ta gueule ! Lança sa sœur pour qui ce moment à part venait de se briser à cet instant précis.

— On t'a entendue d'ici, c'était magnifique ! S'exclama Phi.

— Et pas une once de magie dans les environs, bravo, tu t'es grandement améliorée, félicita Elirielle.

Prenant ces compliments avec le sourire, Syara se rendit jusqu'à ses affaires et plia le tout pour les ranger dans sa sacoche. Après ce moment à part, il était temps de repartir et de rencontrer le déchu.

Le violon de cristal : l'autre mondeWhere stories live. Discover now